Odoo change de licence pour plus de liberté… commerciale ?
Odoo est l’éditeur du logiciel de gestion d’entreprise Odoo. Il est courant de rajouter la mention « anciennement OpenERP », car c’est sous ce nom que ce logiciel a acquis sa notoriété. Odoo est un des logiciels phares si ce n’est LE logiciel phare du monde de l’open source en matière de gestion d’entreprise. Il n’est pas le seul sur ce créneau, mais il est désormais « mainstream ».
Il s’adresse plutôt aux PME d’une certaine taille (au moins 40 à 50 salariés et plus), cependant, il est possible de le mettre en œuvre pour une TPE. La barrière réside dans le coût de support et de mise à jour. Il est possible de s’en passer en s’appuyant uniquement sur les compétences du prestataire qui vous le met en place. Sans contrat de support, vous ne pouvez pas bénéficier des outils de mise à jour automatique, il faut alors procéder par export/import de vos données pour monter de version. Fonctionnellement très complet de base et doté d’une bibliothèque conséquente de modules complémentaires, Odoo peut se plier à bien des besoins d’entreprises.
Le projet Odoo connaît actuellement une vague de turbulence. Odoo (l’entreprise) a confirmé le changement de licence du logiciel Odoo pour la prochaine version 9. Actuellement sous licence AGPL v3 (Affero General Public License), l’ERP va passer sous licence LGPLv3 (Lesser General Public License) lors de la sortie de la V9.
Un des experts en Rhône-Alpes de cet outil est Dominique Chabord de la société SISalp membre également du Ploss Rhône-Alpes où nous nous sommes rencontrés. Ce changement de licence n’est pas neutre. J’ai demandé à Dominique de nous éclairer sur le sujet et sur les conséquences, car la situation n’est pas simple à comprendre de l’extérieur.
Philippe : Dominique, peux-tu nous expliquer comment est rendu possible ce changement de licence ?
Dominique : Un mot avant d’aborder la technique du changement de licence pour préciser à nos lecteurs les raisons de ce changement.
L’objectif est de publier deux éditions de Odoo, l’une open-source appelée Odoo_Community et l’autre propriétaire appelée Odoo_Enterprise. Odoo_Enterprise est construite sur la base de Odoo_Community en lui ajoutant des développements propriétaires. La licence d’Odoo actuelle ne permet pas cette évolution et Odoo_SA, a décidé d’adopter la licence LGPL pour l’ensemble de Odoo_Community.
La technique du changement de licence est fastidieuse, mais simple. Il s’agit de retrouver tous les auteurs historiques du logiciel (plusieurs centaines) et de leur demander de signer un contrat de transfert de leurs droits appelé CLA (Contributor License Agreement). Si un auteur refuse de signer ce contrat, il faut réécrire la portion de code concernée. Dans le cas des auteurs qu’on ne retrouve pas, ou de ceux dont on n’a pas gardé la notification dans le code, le problème sera réglé plus tard en cas de contestation.
Quand la version 9 du logiciel Odoo_Community sera publiée, tout son code sera réutilisable pour construire des solutions propriétaires, parmi lesquelles se trouvera Odoo_Entreprise.
Philippe : Que signifie pour les développeurs de modules complémentaires de Odoo ce changement ?
Dominique : Une petite précision : on confond souvent Odoo_Community avec les modules complémentaires d’Odoo issus de la communauté. Odoo_Community n’est pas communautaire, c’est le nom de l’édition open-source de Odoo, pilotée par l’éditeur Odoo_SA.
Les modules complémentaires sont des ajouts destinés à Odoo partagés par leurs auteurs pour collaborer selon les principes du logiciel open-source. Ces modules sont importants, car, outre les adaptations de détail, ce sont des adaptations pour des métiers, des industries ou des localisations comptables.
La version 9 apporte de nouvelles possibilités aux développeurs. Jusqu’à présent, seule la licence libre AGPL était compatible. Dorénavant, les auteurs de modules peuvent créer des modules propriétaires pour Odoo. Ils peuvent aussi créer des modules LGPL qui seront compatibles avec des modules propriétaires.
Cette nouvelle voie doit cependant être relativisée puisqu’actuellement tous les modules complémentaires sont sous licence AGPL et que beaucoup d’auteurs ne voudront pas modifier cette licence, soit pour des raisons techniques, soit du fait de leur engagement en faveur du logiciel open-source. Il s’en suit d’ailleurs une polémique dont je pense intéressant de dire quelques mots.
A priori, la licence AGPL est une protection forte des auteurs contre la réutilisation de leur code dans une application propriétaire. Chacun en déduit donc qu’il n’est pas possible de combiner un produit propriétaire, prenons l’exemple d’Odoo_Entreprise, au hasard, en lui adjoignant des modules communautaires sous licence AGPL.
Mais voilà, dans les débats interminables relatifs aux licences, les interprétations se multiplient et la créativité se déchaîne. J’ai renoncé à comprendre, mais je retiens qu’Odoo_Entreprise sur des modules AGPL, c’est comme le driver NVIDIA dans Linux, ce qui peut faire sourire, et qu’il y aurait des failles dans la licence AGPL qui permettraient d’en contourner l’objectif. Odoo-SA a donc pris le parti de proposer une « interprétation officielle » (sic) de la licence AGPL à leur profit.
Philippe : Et les utilisateurs, les clients, cela change-t-il quelque chose pour eux ?
Dominique : Pour les clients et utilisateurs, l’offre est plus large et probablement plus simple.
Tout d’abord, ce qui est nouveau : Les utilisateurs raisonnablement argentés qui recherchent des solutions généralistes sans se préoccuper de leur aspect open-source vont disposer de plusieurs solutions propriétaires payantes :
- le service Saas d’Odoo
- l’édition Odoo_Enterprise
- des applications propriétaires dérivées d’Odoo_Community pour une industrie ou une localisation et proposées par des sociétés tierces.
Les utilisateurs qui choisissent Odoo parce que c’est un logiciel open-source vont toujours disposer d’Odoo_Community et des modules communautaires. En revanche, il leur faudra trouver une offre d’hébergement différente du Saas d’Odoo et ils ne pourront plus acheter de contrat de support à Odoo-SA pour corriger les bugs et monter de version.
Pour les utilisateurs qui utilisent Odoo parce qu’il est gratuit, il est toujours possible d’utiliser Odoo_Community gratuitement sans service, rien n’est changé pour eux.
Dominique : Un mot pour dire que les journées Odoo Experience constituent chaque année un événement très impressionnant pour quelqu’un qui a connu la période où Fabien Pinckaers était seul dans sa cuisine, il y a juste 10 ans. Cette édition était un peu en retrait par rapport aux OpenDays 2014, mais reste une réussite incontestable.
Ensuite, pour répondre à ta question, les informations essentielles avaient très largement fuité au printemps, quant à la nouvelle étape stratégique et aux modalités d’application. Chacun est arrivé en sachant ce qui allait y être annoncé, et venait d’abord échanger son point de vue avec les autres membres de la communauté. Enfin, quand on participe directement à l’évènement, il est plus aisé d’en comprendre le sens.
Côté Partenaires et communauté donc, la plupart venaient chercher des confirmations, mais leur opinion était déjà faite, pour ou contre cette évolution. La colère suscitée par les annonces de l’an dernier a laissé place au fatalisme. Beaucoup étaient aussi venus pour contribuer à l’association OCA (Odoo Community Association) qui les rassemble et protégera leurs activités s’il en est besoin.
Côté Odoo-SA, le mode de communication était plus modeste et plus réaliste que l’an dernier, le produit n’évoluant que de « perfect and easy » à « super-perfect and super-easy ».
Pour ma part, j’ai d’abord été très surpris de ne pas être… surpris. Je venais découvrir la suite de l’histoire et découvrais que seul le premier chapitre est écrit et qu’il pose déjà de nombreuses questions non résolues. Je m’attendais au tourbillon des idées nouvelles, j’en repars avec l’idée, déjà ancienne, qu’il est bien difficile de prédire ce que sera Odoo l’année prochaine, tant la gouvernance de l’écosystème semble être passée en mode manuel et au pilotage à vue.
Philippe : Ces remous ne sont-ils pas de nature à mettre en question ce modèle de logiciel libre porté par une unique entreprise malgré les avantages qu’il procure en terme de moyens de développement ?
Dominique : Je pense au contraire que, s’il réussit dans ses projets actuels, Odoo va démontrer l’efficacité de sa stratégie open-source qui consiste à s’appuyer sur une communauté pour créer un logiciel à même de rivaliser avec les meilleurs logiciels propriétaires.
Sans cette communauté comportant des centaines de contributeurs, le logiciel ne serait pas aussi avancé et il n’aurait pas atteint le niveau de notoriété qui lui permet aujourd’hui d’espérer prendre pied sur ce marché complexe, concurrentiel et international.
Dans ta question, tu utilises les mots « logiciel libre », alors que les valeurs du projet Odoo n’ont jamais été celles du logiciel libre et Odoo s’est toujours situé dans la famille « open-source ». Les licences du logiciel libre ont été employées dans un souci d’efficacité. Les militants de la liberté du logiciel ont d’ailleurs créé leur propre projet depuis bien longtemps.
Merci, Dominique, pour le temps passé à répondre à mes questions 🙂 !
Pour celles et ceux qui voudraient allez plus loin dans la compréhension de ces événements, je vous renvoie à l’article de Dominique sur le site de Sisalp qui vous fait un historique complet sur la question avec moult liens.
« Les militants de la liberté du logiciel ont d’ailleurs créé leur propre projet depuis bien longtemps. »
C’est quoi le nom de ce projet ?
Encore un logiciel qui tombe dans le semi/propriétaire, donc une grosse partie des utilisateurs vont passer sur autre chose / fork… ce qui est logique
Le nom du projet (non-cité) est Tryton : http://www.tryton.org/
Entre la pléthore de licences au lieu d’un seul système a tiroirs et un autre business modèle d’asso/fond de dotation propriétaire de l’entreprise qui fait les prestations y a du boulot pour que le monde du libre et opensource avance vraiment en considérant éthique, durable, respect humain, etc pendant que tout ce bordel actuel profite au propriétaire / privatif ! qui lui se frotte les mains et les bourses en ayant les moyens d’innover alors que le libre / opensource ne fait que suivre … trop souvent loin derrière … et lui, le proprio, devant !
@NiKaro : je pense que Dominique Chabord parle de Tryton http://www.tryton.org/ , lequel avait forké en 2008 TinyERP (nom précédent OpenERP et Odoo).
Je me posais la même question que NiKaro, merci à Cédric Krier pour la réponse et Fabien pour la précision en complément. 🙂
Très bon article et ITW.
Merci.
C’était prévisible. Un très bon exemple est le cas SugarCRM. Après avoir permis à l’éditeur de gagner en notoriété, en visibilité et de lever des fonds, la version communautaire a d’abord subi des allègements fonctionnels au profit des versions commerciales avant de tomber à l’abandon. Les utilisateurs ont à présent le choix de migrer vers une version commerciale de Sugar, de s’orienter vers un fork (lui même à la pérennité incertaine) ou de migrer vers une autre solution propriétaire ou open source.
@ Anthony BONNEVILLE
Et donc ? on fait quoi ? on laisse faire ? on profite pour aussi se faire sa pub direct par le site en lien dans son nom de commentateur ? 😉
Et on laisser aussi faire pour d’autres qui prennent le même chemin de lancer du libre / opensource avec des bénévoles puis qui montent leur boite en laissant les bénévole sur le carreau ?
Si oui même plus la peine d’affiche logiciel libre / opensource mais plutot projet d’escroquerie numérique ? Et plus la peine de taper sur la tête du proprio ! Au moins avec eux on sait à quoi s’en tenir !
Ah il y a bien une solution pour agir autrement mais personne ne prend la peine de se bouger pour demander plus d’info au tenancier de ce blog !
Bizarre … Non ! Humain !
@bonob0h : on profite pour aussi se faire sa pub direct par le site en lien dans son nom de commentateur ? ?
Ca fait parti du jeu des commentaires et le l’accepte tant que ce n’est pas du commentaire spam. Mettre des liens partout vers leur projet, J’en connais qui s’en prive pas n’est ce pas 🙂 En plus, Anthony a bien fait, j’ai pu découvrir une CRM open source que je ne connaissais pas… En tout cas Anthony joue le jeu de l’open source en ne proposant à ses clients que du code sous licence open source et pas les versions entreprises fermées des mêmes logiciels si j’ai bien compris. C’est sa façon à lui de dire non au logiciel propriétaire. Respectons-là.
@Philippe : en effet, l’objet de mon commentaire n’était pas de faire de la pub mais simplement d’apporter un témoignage de ce que nous vivons en tant qu’intégrateur/contributeur de CRM Open Source.
Pour compléter mes propos, depuis presque 10 ans, nous avons accompagné une centaine de sociétés dont une majorité de TPE pour la mise en œuvre de SugarCRM Community Edition. Aujourd’hui, face à l’abandon par l’éditeur de son projet Open Source, ces sociétés n’ont d’autres solutions que d’envisager le changement de CRM, la plupart ne pouvant même pas s’orienter vers les versions commerciales de Sugar (celles-ci étant disponibles à partir de 10 utilisateurs). Heureusement, des alternatives existent (dont celle que Philippe a pu découvrir sur notre site) mais changer d’application métier est toujours contraignant pour une entreprise et il est dommage que Sugar ne cible à présent que les PME et grands comptes.
@Anthony : Et pourquoi pas Vtiger ?
Comme d’hab dans ce type d’erp, Odom devient un piège à cons !