Faire appel à la Justice pour imposer le logiciel libre

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Marteau de la JusticeIl est dommage de constater qu’il faille aujourd’hui déposer des recours en justice pour obliger l’état à donner une chance aux logiciels libres d’avoir leur place dans son système d’information.

Cette remarque me vient à la lecture de l’annonce de l’annulation par la justice d’un marché public, car il excluait les logiciels libres. La société Nexendi a obtenu l’annulation du marché d’acquisition d’un progiciel de gestion budgétaire, comptable et financière lancé le 28 septembre dernier par un groupement d’établissements publics.

Le cahier des charges technique imposait :

  • le stockage des données du progiciel dans une base de données Oracle,
  • la fourniture d’Univers Business Object pour ce qui relève de la génération d’états et de rapports sur les données financières.

Dans ce contexte une solution totalement à base de logiciel libre ne pouvait pas répondre à l’appel d’offre. Comme le rappel PC Inpact dans un article sur le sujet, l’article 6 du code des marchés publics fait obligation de ne pas mentionner de marques, de brevet ou de technologie particulière dans ces appels d’offres : « Les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d’un mode ou procédé de fabrication particulier ou d’une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, dès lors qu’une telle mention ou référence aurait pour effet de favoriser ou d’éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits. »

On pourra cependant opposer que ces organismes publics ont probablement imposé ces composants, car faisant déjà parti de leur système d’informations. Le choix d’autres solutions impliquerait de former leurs équipes système à l’exploitation d’un autre moteur de base de données engendrant une augmentation du nombre de procédures à gérer. On aura la même argumentation pour le choix de Business Object qui doit être probablement maitrisé par les équipes internes.

En terme de bonne gestion d’un système d’information et de la prise en compte de l’existant, je peux comprendre que l’on ait voulu « limiter » le choix de certains composants. Dans le monde de l’entreprise privée, c’est une approche très courante. Combien de fois m’a-t-on dit : « Nous, c’est MS SQL Server le standard, on ne prendra pas votre logiciel s’il ne marche pas sur cette base de données ». Et en tant que responsable informatique j’ai toujours cherché à limiter le nombre et le type de base de données au sein de mon système d’informations.

Mais en admettant que l’appel d’offres soit repassé sans ces contraintes, est-ce que cela changera la donne au final ? Je n’en suis pas sur. On risque juste de voir des « pré-requis » techniques devenir invisibles ou non formulés.

Bien entendu, je reste partisan de l’utilisation par le secteur public d’un maximum de logiciels libres. L’état est pour moi censé gérer les biens communs et rendre des services d’intérêts généraux.

Les logiciels libres sont un bien commun et le service public devrait donc s’attacher à l’utiliser et à l’améliorer dans l’intérêt général justement. Il est à ce sujet intéressant de voir que le Russie semble avoir choisi en la matière la voie de l’autoritarisme en imposant le passage au logiciel libre. A quand un plan quinquennal pour l’administration publique française pour passer au libre ?

Crédit image Raffaella Biscuso sous licence CC0

Philippe Scoffoni

Je barbote dans la mare informatique depuis 30 ans (premier ordinateur à 16 ans, un ORIC ATMOS) et je travaille à mon compte au travers de ma société Open-DSI. J'accompagne les associations, TPE et PME dans leurs choix et dans la mise en oeuvre se solutions informatiques libres.

20 réponses

  1. Frédéric Reynier dit :

    Moi je me réjouis de voir la place toujours plus grande que prennent nos libertés numériques dans différents espaces.

    La politique avec des cadres contre productifs comme Hadopi ou la Loppsi. Ce n’est pas tout bien ou tout mal mais la direction fondamentale n’est pas dans le bon sens.

    La majorité des grands éditeurs encore un peu trop old-school ne sont pas là pour faciliter le déploiement du libre non plus.

    Heureusement que la justice fonctionne encore…

  2. David dit :

    C’est quand même aberrant que des appels d’offres publiques face des commandes, genre de gré à gré, avec l’argent public…
    les appels d’offres doivent se contenter d’un cahier des charges permettant à tous le monde d’avoir sa chance, afin de respecter la concurence. Ce n’est pas le monde des bisounours, c’est la règle.

    Quand je vois le nombre d’appels d’offres publiques passant commande pour des OS Windows (entreprise prospérant illégalement depuis des années – vente liée) avec l’argent des citoyens, ça me met toujours hors de moi.

    Et c’est au plus petit a faire des démarches lourdes, longues et coûteuse, pour un recours alors que normalement il n’y’aurait pas lieu d’être.

  3. Eric dit :

    La liberté doit se défendre, SURTOUT, quand cela ne nous plaît pas.

    Alors oui, je préférerais que tous le monde utilise des logiciels libres, mais non, je ne vois pas en quoi la mairie de Trifouillie-les-Oies n’aurait pas la liberté de vouloir du Windows et du Business Object.

    Je trouve les appels d’offres vraiment très peu adapté pour les logiciels : j’imagine qu’on peut facilement choisir entre deux peintures ou entre deux tables, mais entre deux logiciels, c’est tous de même un peu plus compliqué. Mais bon, le contournement est trivial : je veux un logiciel dont les fonctionnalités sont : (–liste de fonctionnalités du logiciel que je veux–).

    Beaucoup de temps et d’argent perdu pour rien (rigolez pas, c’est le notre, aurait dis Coluche).

  4. Lecairn dit :

    Bonjour, bien que plutôt partisan du libre , j’aimerais poser juste deux petites questions pour relancer le débat … En l’occurrence la personne publique doit elle jeter tout son existant pour faire évoluer son SI ? Le libre n’étant pas encore a ISO fonctionnalité ni et c’est souvent le plus frappant à ISO périmètre concernant l’ergonomie utilisateur ? En outre , imposer le libre n’est pas non plus une entrave a la libre concurrence ? Certains peuvent faire le choix sciemment de s’enfermer dans une stratégie éditeur ?

  5. David dit :

    Pour ma part : oui, il me semble éthique d’imposer les logiciels libres dans les administrations publiques.
    Comme l’a si bien souligné le rapport de 2002 à propos de la politique des logiciels dans la gendarmerie nationale, je cite :

    Les choix open-source de la gendarmerie sont une
    conséquence des choix stratégiques :

    * plus respectueux des normes
    * coût de possession très faible à long terme
    * forte indépendance vis à vis des intégrateurs

    indépendance vis-à-vis des éditeurs :
    * système modulaire
    * dialogue entre modules uniquement par des protocoles ouverts
    et libres de droits

    Document officiel : http://www.concepteursite.com/pdf/gendarmerie_france_xavier_guimard_logiciels-libres.pdf

  6. Bonob0h dit :

    La conclusion est évidente : juridiquement tout est dans le rédactionnel de l’appel d’offre 😉 ou dans le saucissonnage pour ne pas avoir à faire d’appel, pratique courante vu la les lois mal faites concernant la gestion des collectivités.

    A ce propos ayant vécu quelques expérience les lois en arrivent même qu’a ce qu’on propose un projet associatif, on y passe du temps, etc il est libre, etc, sans aucune entreprise à faire bénéficier, et au contraire plein d’emplois locaux par exemple, et LA :
    Ah mais il faut qu’on lance un appel d’offre !
    Appel d’offre que seules quelques très grosse entreprises ponctionneuses de gros bénéfices pour leur actionnaires sont les seules qui puissent répondre !
    Il arrive même qu’on se rende compte que des plus ou moins proche de la collectivité sont très proche des seules entreprises qui peuvent répondre aux appels d’offres !!!

    C’est la ou la justice doit intervenir … mais encore faut il avoir les moyens de la saisir !
    Comme de saisir nos « chers » députés pour revoir la « loi » de décentralisation par exemple 😉

    Quand à ce que le libre puisse vraiment proposer si on prend cet exemple :
    Orable = Postgre
    Mais pour
    Business Objetc = ?????

    Et c’est la qu’on se dit qu’il faut s’Indigner pour créer Autrement 😉
    http://philippe.scoffoni.net/indignez-vous-mais-pour-creer/comment-page-1/#comment-6448

  7. Nordine dit :

    Bonjour à tous,

    Je suis en partie d’accord avec toi quand tu dit « Le choix d’autres solutions impliquerait de former leurs équipes… ». Ton argumentaire tiens tout à fait pour des responsables informatique sérieux qui font de véritables études à moyens ou long terme avant de passer des marchés.
    Mais mon expérience de fonctionnaire montre que souvent ces responsables prennent le chemin le plus court vers les économies à court terme.
    « Migrons vers Windows 2008, ainsi on aura pas besoin de former les utilisateurs! » ce raisonnement pousse à lancer un appel d’offre avec la marque Microsoft Windows Serveur comme critère de choix.
    Mais à plus long terme ce choix est mauvais car il coûte plus cher qu’un logiciel libre.
    En passant un appel d’offre avec des critères du type : Authentification smb, partage de fichier, partage d’impression; on laisse sa chance à une société qui propose un serveur SAMBA et une formation aux agents de l’administration. On obtient la même qualité de service pour un coût pour le contribuable bien moindre à long terme.
    En citant des marques, on est sûr de ne jamais voir émerger d’autres solution que les logiciels propriétaire qui enferment les administrations dans une escalade de tarifs et de fonctionnalités inutiles.

    PS: pourquoi migrer si les utilisateurs ne sont pas formés aux nouvelles fonctionnalités?

  8. Philippe dit :

    @Nordine « Mais mon expérience de fonctionnaire montre que souvent ces responsables prennent le chemin le plus court vers les économies à court terme » Je ne crois pas que s comportement soit spécifique aux fonctionnaires, il est bien généralisé au contraire 🙂

  9. bonob0h dit :

    @ Philippe … economie à court terme … pour maxi profits à courts terme pour les maxidividendes à court terme … et c’est comme ça qu’on a des prématurés … pardon crises … prématurées, mises en place par des immatures qui n’ayant pas grandits a longt terme se croient encore a jouer aux billes 😀

  10. DrWaX dit :

    Il est clair que le CCTP de cette collectivité décrivait le produit d’un éditeur en particulier, leur erreur aura été de citer des marques, ce qui est formellement interdit par le code des marchés publics (CMP).

    Cependant, confrontons-nous à la réalité, il est difficile de devoir passer un appel d’offre tous les ans pour renouveler un logiciel de gestion financière qui est tout de même la colonne vertébral de la collectivité. Le CMP permet de passer des marchés renouvelables 3 fois (4 années) et même au bout de quatre années de migration, formation des utilisateurs, montée en puissance et enfin exploitation du produit c’est assez compliqué de former de nouveau des utilisateurs et de garantir des possibilités d’analyse sur des opérations qui peuvent s’étaler sur plusieurs années (je pense notamment à la construction de grands ouvrages réalisés par les départements ou les régions).

    Il n’est pas impossible d’avoir des logiciels libres autres que les navigateurs internet et suites bureautiques dans les collectivités mais il faut qu’ils répondent vraiment aux contraintes qui pèsent sur les collectivités, les mises à jour légales sont un critère prioritaire. Les solutions d’homogénéisation des transferts de données entre collectivités (Hélios, Fast etc..) se mettent en place petit à petit pour obtenir un socle commun mutualisé qui évitera les investissements anarchiques. Rappelons qu’il existe plus de 36000 communes, ce n’est pas une simple liaison data entre des succursales à mettre en place.

    L’argent public ne doit payer qu’une fois mais pas pour créer une usine à gaz.

  11. David dit :

    Donc, mieux vaut tout migrer une bonne fois pour toute sur du libre pour aller de l’avant, non ?
    Même si les bénéfices de la migration : maintenance, métiers, réseau, formations ne seront pas de suite immédiat… À lonq terme, ce ne sera que du gagnant à tous les niveaux.

    Il n’est pas interdit par la suite dans un appel d’offre de souligner que les logiciels doit être libre je pense, ce qui permettra une pérennité et une bonne évolution.

    Avec le cas des logiciels privateurs la collectivité n’est pas indépendante de l’éditeur et se retrouve confrontée à son bon vouloir et à sa politique… Ce qui est un comble pour l’épanouissement d’un service public et donc du bien commun à tous.

    L’exemple de la gendarmerie, cité plus haut en est un bon exemple pour le choix du libre, puisque cette dernière à même participée aux codes du logiciel thunderbird (Trustedbird, voir sur adullact) pour ses propres besoins, mais qui profite aussi à tous le monde, puisque libre.

  12. DrWaX dit :

    @David : C’est une arme à double tranchant, on ne peut pas pas imposer par la suite que le logiciel soit libre, mais on peut faire jouer la concurrence entre les sociétés de services sur le support d’un produit :

    http://www.numerama.com/magazine/17790-l-hadopi-dans-l-illegalite-parce-qu-elle-privilegie-le-logiciel-libre-maj.html

  13. Eric dit :

    @DrWaX
    > Les solutions d’homogénéisation des transferts de données entre collectivités (Hélios, Fast etc..)

    C’est plutôt S²low qui est un logiciel libre pas Fast !

    Ce qui compte, c’est que les protocoles soient ouvert, les logiciels libres s’imposeront par la suite.

  14. DrWaX dit :

    @Eric

    Je confirme, c’est S²low qui est la version ouverte en réponse à Fast, mais Fast est financé par la Caisse des Dépôts et Consignations qui est un groupe public. Comme je le disais plus tôt, je ne me focalise pas sur le logiciel libre, mais je suis pour que les protocoles, API et les formats soient ouverts et documentés, l’Evolution (au sens de Darwin) fera le reste.

  15. Eric dit :

    > Fast est financé par la Caisse des Dépôts et Consignations qui est un groupe public.

    Et il est où le code de Fast ? 😉 L’argent public doit-il financer le développement de logiciel propriétaire ?

  16. bonob0h dit :

    @ Eric … nombre de financement publics … Etat, régions, Europe, Anr, … financent majoritairement des projets proprio 😉

  17. DrWaX dit :

    Pour prolonger la réflexion :

    http://www.jfl2010.fr/videos/elie.php

  18. bonob0h dit :

    @DrWaX … les réflexions se prolongent depuis déjà belle lurette 😉
    Il serait temps de passer a l’action … autrement … et il y a matière déjà en commençant par le lien dans mon nom 😉

  1. 11 janvier 2011

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  2. 12 janvier 2011

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