Société de la connaissance : Surgissement d’un nouveau monde

closeCet article a été publié il y a 13 ans 8 mois 7 jours, il est donc possible qu’il ne soit plus à jour. Les informations proposées sont donc peut-être expirées.

Chose promise, chose due… Voici donc mon compte-rendu de lecture du livre de Marc Luyckx Ghisi : Surgissement d’un nouveau monde. Un livre découvert au hasard d’un lien et d’une vidéo de l’auteur présentant son ouvrage et les concepts qu’il développe.

Il n’y ait pas question de logiciel libre ou d’open source bien que ces derniers soient cités. Je reviendrais sur ce point dans un autre article. Le sujet de cet ouvrage est l’avènement de la société de la connaissance en tant que successeur de la société industrielle dans laquelle nous vivons depuis plusieurs siècles. Selon l’auteur  nous sommes dans un changement de paradigme majeur. Le dernier remontant à prêt de 500 ans.

Qui est Marc Luyckx Ghisi ?

Il est né en 1942 à Louvain en Belgique. Après une  formation initiale en mathématiques, et en philosophie, il obtint une licence en théologie latine et ensuite un doctorat en théologie et philosophie  Russe et Grecque.

Il a vécu et enseigné en Italie, Brésil, Etats-Unis, et à Bruxelles. De 1990 à 1999, il a été membre de la « Cellule de Prospective » de la Commission européenne au service des présidents Jacques Delors et Jacques Santer. Il est actuellement :

  • Vice Président de la « COTRUGLI Business School » à Zagreb, et Belgrade.
  • Membre de l’« Auroville International Advisory Council » en Inde du Sud. (Pondichery)
  • Professeur à Rouen ESC (Ecole supérieure de Commerce).

Synoptique de l’ouvrage

Après un prologue consacré à une vision de ce que pourraient être les années 2010 à 2050, suivent deux parties.

La première partie est consacrée à la description de « ce qui finit ou est déjà mort, mais n’en finit pas de mourir, parfois dans un silence feutré, parfois avec grand bruit ».

La seconde partie plus dense, car elle constitue les deux tiers de l’ouvrage s’attache à décrire cette société de la connaissance qui est « en train de naître sous nos yeux ».

Les deux parties s’appuient sur un découpage en cinq niveaux des changements en cours.  Plus on monte dans les niveaux plus ils sont « visibles » à la façon d’un iceberg. Le premier niveau est le plus enfoui et le plus dérangeant. Dans la première partie :

  • Le premier niveau est « la prise de conscience que notre civilisation mondiale est menacée de mort si nous ne changeons rien »;
  • Le second niveau est « la mort des valeurs patriarcales »;
  • Le troisième niveau est la fin de la modernité;
  • Le quatrième niveau est la fin de de la logique de l’économie « industrielle et moderne »;
  • Le cinquième niveau est le déclin rapide de la crédibilité de nos institutions sociales et politiques. « Globalement, toutes les institutions pyramidales sont en crise… »


Dans la seconde partie ces niveaux sont abordés dans l’ordre inverse :

  • Niveau 5 : L’auteur nous présente sa conception du nouveau paradigme politique : la non-violence entre Etats.
  • Niveau 4 : Il décrit ensuite que serait la transition de l’outil industriel et moderne vers l’outil immatériel qu’est le cerveau humain producteur de connaissance. Cette nouvelle économie de la connaissance est traitée au travers d’un scénario positif et négatif.
  • Niveau 3 : Définition de la transmodernité comme une « nouvelle manière de concevoir nos existences (paradigme) ».
  • Niveau 2 : « les femmes sont deux fois plus efficaces dans la société de la connaissance. […] la société de la connaissance, transmoderne, est une société pétrie de valeurs beaucoup plus féminines. »
  • Niveau 1 : « le changement de valeurs est là : des citoyens choisissent la vie ».

Ce que j’ai retenu

Un Européen convaincu

Marc Luyckx Ghisi est clairement convaincu de la pertinence du modèle proposé par la Communauté européenne. Il reste conscient de l’échec provisoire dans laquelle elle se trouve actuellement. Il regrette l’orientation « beaucoup trop économique et néolibérale des deux projets de Constitution ».

Sa présentation des origines et des objectifs politiques initiaux a probablement amélioré ma perception de ce que devrait être l’Europe et les raisons qui font que comme beaucoup d’autres je n' »accroche » pas à ce que l’on nous présente. Il donne une citation datant de 1993 de Jacques Delors qui me semble bien résumer la situation actuelle : « Les européens sont intelligents et ils ne seront pas satisfait si on leur dit que le projet européen se réduit à un marché ». Les événements lui ont hélas donné raison.

Le cheminement vers une nouvelle gouvernance mondiale (pas un gouvernement !) semble être une des caractéristiques de la future société de la connaissance dont la CEE pourrait être un modèle.

La mise en cohérence d’idées ou de principes vus de façon séparée

“On ne « force » jamais personne à changer de paradigme : c’est impossible”Dans sa description des changements en cours, j’ai retrouvé beaucoup d’idées que j’avais croisées ici et ailleurs dans mes lectures numériques. Tout y passe : l’humain redevient central, des pyramides aux réseaux, le rôle du leader, la fin du secret et des brevets, une nouvelle façon de gérer les ressources humaines, du commerce au partage, la coopétition, l’argent de plus en plus en plus symbolique, une redéfinition du travail, l’inclusion sociale, rôle central de la culture, un progrès réellement soutenable, car qualitatif et de nouveaux buts pour la société.

Si la lecture des points précédents peut soulever l’enthousiasme, Marc Luyckx Ghisi n’oublie pas pour autant de nous dépeindre ce qu’il nomme le scénario négatif. Ce dernier a de quoi faire peur. Sa lecture mise en perspective avec ce que nous pouvons vivre ou avons vécu ces dernières années est un vrai avertissement : l’exploitation de l’homme par l’homme au travers de l’espace numérique. Le tout sous couvert de bonnes intentions visant à « optimiser le potentiel humain de la personne » ou de façon plus crue à transformer l’humanité en esclaves numériques.

Le danger le plus important nous viendrait de la science a qui nous avons donné le quasi-statut de divinité et qui s’exprime au travers de la dictature des experts.

Les créatifs culturels

Ce sont les têtes de pont de la nouvelle société de la connaissance. Ils sont nombreux, déjà plusieurs centaines de millions sur la planète. Ils sont la plupart du temps invisible, car « ils ne votent plus, ne lisent plus la presse traditionnelle et regardent peu la TV ».

Je ne sais pas si cette citation de l’auteur lui a été inspirée par le titre du livre de Thierry Crouzet que j’avais lu il y a deux ou trois ans : « Le Peuple des connecteurs : ils ne votent pas, ils n’étudient pas, ils ne travaillent pas, mais ils changent le monde », mais la similitude m’a frappé. Il existe d’ailleurs d’autres similitudes entre ces deux auteurs notamment sur la fin de la structure pyramidale et la façon de concevoir le travail de création de la connaissance.

Devrais-je dire que tous ceux qui font des logiciels libres ou open source en sont ? Je pense que oui. Les principes de partage de la connaissance, de libre circulation de celle-ci sont les principes fondamentaux de la nouvelle société.

Les femmes au pouvoir  ?

C’est un autre credo de ce livre. Un chapitre lui est consacré. La société de la connaissance est basée sur des valeurs matriarcales, il n’est donc pas étonnant que les femmes y soient plus efficaces.

Une remise en question pour nous les hommes est à venir. Il va falloir laisser s’exprimer la part de féminité qui est en nous. J’écris tout cela sans vouloir faire de mauvais esprit. Je suis effectivement convaincu que la société patriarcale dans laquelle nous vivons est profondément violente et qu’il devient urgent de réintroduire des valeurs plus féminines.

L’éducation

Le jugement est sans appel. Pour l’auteur notre système éducatif est incapable de s’adapter. Il faut donc le refonder en créant de nouvelles structures éducatives à côté de celles qui existent aujourd’hui.

L’auteur appelle à une nouvelle forme d’enseignement visant à éduquer des généralistes capables d’aborder des disciplines et des métiers différents au cours de leur vie. L’objectif est de mettre en place un processus de formation permanente tout au long de la vie ce qui suppose la capacité de savoir apprendre.

Moins convaincu

Certains passages du livre ont néanmoins suscité chez moi quelques étonnements. Notamment la place qu’attribue l’auteur à la bourse et à son rôle dans les changements qui doivent nous conduire à la société de la connaissance. La bourse commencerait à prendre en compte et à valoriser, pour l’instant de façon  empirique, les acquis immatériels (intangibles assets) des entreprises. Par exemple : les acquis liés à la structure interne et externe comme la communication, la manière de gérer les conflits, la structure de l’entreprise, la qualité des « réseaux de valeurs » auquel  participe l’entreprise ou encore les acquis liés aux compétences individuelles.

Pas grand chose autour des banques et du système monétaire. Les SEL (Systèmes d’Echanges Locaux) sont cités ainsi que les monnaies complémentaires. Mais l’auteur ne semble pas vouloir ou trouver nécessaire de remettre en question le fonctionnement de nos institutions bancaires et financières.

C’est comme s’il pensait qu’elles allaient de toute façon suivre le gagnant et s’adapter « naturellement ». Pourtant, je vois dans ces dernières un énorme facteur de résistance au changement. On dirait que cet aspect est secondaire.

Le côté spirituel, le « sacré » est aussi abordé. Si je comprends l’argumentation de l’auteur autour de cette notion et les changements qu’il nous décrit, j’avoue avoir eu du mal à accrocher à cette partie de l’ouvrage.

Un bémol concernant la diffusion de ce livre qui reste « classique ».  Pour lire ce livre il vous faudra l’acheter. Cependant vous pouvez télécharger librement les deux précédents livres de l’auteur sur son site. L’un deux est d’ailleurs un essai qui a servi de base à ce livre. Vous y retrouverez les principaux thèmes détaillés de façon quasi-similaire.

Quelle conclusion je tire de ce livre

Notre société change et elle doit changer. Nous sommes arrivés au bout du rouleau de ce que j’ai déjà appelé l’Ancien Monde, qui est paradoxalement celui dans lequel nous vivons. Si j’en suis venu à me passionner pour les logiciels libres, l’open source ou les AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne) c’est bien par prise de conscience de cette fin et de la nécessité de rechercher d’autres modes de fonctionnement. Ce que propose Marc Luyckx Ghisi dans son livre m’a donc bien évidemment séduit même si beaucoup le qualifierons d’utopiste.

Ce livre est intéressant, car il regroupe en un seul endroit des idées  vues de façon dispersées et leur donne un sens global. Il faut cependant admettre que j’étais un client convaincu d’avance. Au final un livre plein d’optimismes et que je recommande comme outils d’ouverture d’esprit sur les changements nécessaires de notre monde.

Crédit : Toutes les citations en italiques sont issues du livre de Marc Luyckx Ghisi.

Philippe Scoffoni

Je barbote dans la mare informatique depuis 30 ans (premier ordinateur à 16 ans, un ORIC ATMOS) et je travaille à mon compte au travers de ma société Open-DSI. J'accompagne les associations, TPE et PME dans leurs choix et dans la mise en oeuvre se solutions informatiques libres.

12 réponses

  1. Philippe dit :

    La retranscription que je fais de cet ouvrage est parcellaire, orienté et potentiellement imprécise. Je vous demanderais par respect pour l’auteur de ne pas porter de jugements trop définitif sur ce livre et son contenu si vous ne l’avez pas lu. Si des points vous semblent peu clair, n’hésitez pas à me demander des compléments d’information, j’y répondrais avec plaisir 😉

  2. fredix dit :

    Très intéressant, mais je fais aussi parti des publics déjà convaincu.

    Cependant je doute vraiment de la réalisation d’un tel changement, à moins qu’une crise mondiale énorme pousse les gens à remettre entièrement en cause le système. L’inertie est forte ainsi que la résistance au changement, d’autant plus que ce n’est pas dans l’intérêt des industriels.

  3. Zoupic dit :

    Bonjour Philippe,

    Merci pour cette belle fiche de cet auteur que je connaissais déjà.
    Je conseille et recommande chaudement son ouvrage pour les points que tu as cités et pour la technique de description qui est propre à ce monsieur qui a travaillé 9 ans à faire de la prospective au niveau européen.

    Je ne suis pas sûr que tous ceux qui sont dans les mouvances du logiciel libre et de l’open source soient des créatifs culturels car cela ne se résume pas qu’à cela, il y a d’autres critères, le rapport à la nature, au sacré, le féminin qui ne sont pas forcément les valeurs essentielles du logiciel libre. L’un n’empêche pas l’autre, mais l’un n’implique pas l’autre obligatoirement.

    Et oui: n’hésitez pas à regarder la vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=4W5Kr6HPzfI&feature=channel ou à télécharger et lire les premiers livres!

  4. Galuel dit :

    Beau post, très intéressant cet auteur.

  5. Philippe dit :

    Merci pour vous commentaires.
    @fredix :

    « à moins qu’une crise mondiale énorme pousse les gens à remettre entièrement en cause le système »

    Tu n’a pas l’impression que l’on est en plein dans cette crise mondiale justement ?
    @Zoupic : Tu as raison de souligner le style de l’auteur. Il est parfaitement clair dans ces exposés. Concernant les créatifs culturels, tu as raisonaussi , je me suis laissé emporté 🙂 ! Il y a effectivement d’autres critères tout aussi important.

  6. fredix dit :

    Philippe, je pense justement qu’on est encore très loin d’une crise suffisamment forte pour pousser les gens à remettre entièrement le système en cause. Je pense à l’effondrement du système bancaire qui entraînerait tout le monde dans leur chute. Et au final je ne sais pas s’il faut souhaiter une telle crise.
    Personnellement je préférerais une révolution douce, comme l’a si bien réussi le logiciel libre. Pour cela il faut créer des alternatives économiques et financières crédibles… Il y a du boulot 🙂

  7. Philippe dit :

    @fredix : Tu as raison, la notion de « crise » est subjective. Moi quand je lis que les restau du coeur ont servis 100 Millions de repas cette année, je me dis qu’on est en crise grave et je ne parle pas du reste du monde. Mais nous portons tous des lunettes plus ou moins déformantes…

  8. Bonob0h dit :

    Rien de nouveau a l’ouest 😉
    Le problème n’est pas d’en parler … mais d’agir … autrement …
    A contrario … ça pourrait devenir « Quand l’insurrection vient » 😉 a qui même des personnes douées pour êtres muettes ont pourtant bien analyser en y donnant raison au grand dam de certains …

  9. Chantal dit :

    Le livre a l’air intéressant, j’adhère, sauf peut-être la non remise en cause du système financier, mais je suis assez d’accord avec l’idée qu’ils suivront s’ils peuvent faire du fric, ce qui n’est pas, en soi, un crime. L’aspect spirituel me parle ++, mais à ce jour, reconnaître le caractère sacré de la vie, de l’humain, de la préservation de la nature et des animaux est le spirituel devenu pratique. Là aussi, tout va changer. Vivre spirituellement n’a rien à voir avec les religions, les enseignements, les maîtres, l’Homme se replace au centre de la roue et prend conscience de sa nature profonde. Je n’irai pas plus loin. Pourquoi chercher Dieu ailleurs qu’en soi, un soi libéré des aspects grossiers, naturellement.

    Quand au fait que tout ça n’est pas pour demain, d’une manière globale, certes. Mais pour ceux qui sont prêts, la vie peut et va totalement changer. Nous n’avons pas, à mon sens, à résoudre les problèmes globaux de la société, à provoquer des résistances, mais à proposer des solutions issues de nos expériences, des trucs qui marchent, que nous vivons. Montrer qu’autre chose est possible est plus édifiant que tenter de faire bouger ceux qui ne sont pas prêts.

    Entendre parler de Dieu etc… cela peut être rasant. Voir quelqu’un léviter, se téléporter, savoir instinctivement ce qui va arriver, capter les informations à même la conscience globale, et plus au moyen d’ordinateurs qui ne sont que des prolongations du cerveau humain, hum… ça devient plus intéressant. Parce que des pouvoirs, tout le monde veut en avoir. L’ironie est que certains pouvoirs ne se développent qu’avec le niveau de conscience. Nous avons ce que certains ont dénommé une société éthique, une technologie propre, en lien avec le niveau de conscience de l’utilisateur, c’est révolutionnaire, mais la vie n’a rien de conventionnel, elle ne se laisse pas enfermer dans des cases.

  10. Philippe dit :

    @Chantal : bienvenue sur ce site, je vois que vous vous êtes promenée sur mon site 🙂 Un livre un peu « révélation » pour moi au sens où il regroupait en un seul endroit beaucoup de choses que j’avais vue éparpillées et leur donnaient un sens en terme de prospective. Il y a des bémols, c’est indiqué dans l’article cependant..

  1. 20 août 2010

    […] This post was mentioned on Twitter by J-F Cloutier and Smyrnoff , Veille. Veille said: Société de la connaissance : Surgissement d’un nouveau monde […]

  2. 20 août 2010

    […] This post was mentioned on Twitter by Carole_Fabre, Frédéric Logier. Frédéric Logier said: ♺ @pscoffoni: Surgissement d’un nouveau monde de Marc Luyckx Ghisi #société de la #connaissance #économie http://bypsc.fr/0ci […]