Canonical vs OVH, pourquoi c’est quand même intéressant

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C’est le flameware du moment lancé par Octave Klaba le patron d’OVH sur Twitter.

Tweet Octave Klaba

Traduction : Ubuntu (comprenez Canonical bien évidemment) demande 1 à 2 € par mois pour chaque serveur. En cas de refus, OVH ne pourra plus utiliser la marque Ubuntu sur sont site. Immédiatement suivi par un sondage fort à propos.

Sondage

Bref tout ce qu’il faut pour déclencher une guerre de tranchées entre les pro et anti Ubuntu. Les uns se délectant du comportement indigne de Canonical et incitant à passer sur une autre distribution, les autres hurlants au complot.

À vrai dire, je n’avais pas envie d’écrire un article sur le sujet. Encore un nid à troll. Mais bon parfois il faut savoir vivre dangereusement. Alors, pourquoi est-ce malgré tout intéressant de parler de cette affaire ? Tout simplement pour rappeler quelques particularités des logiciels libres.

Dans le monde du logiciel propriétaire ou privateur, ce qui est pratique et rassurant pour beaucoup de monde, c’est qu’il n’y a guère à réfléchir. Par défaut, il est interdit d’utiliser. Donc pas de bisbille entre Microsoft et un OVH, ce dernier doit passer à la caisse pour mettre à disposition les systèmes d’exploitation Windows Server.

Dans le monde du logiciel libre, il en va tout autrement : tout le monde peut utiliser sans demander l’avis à qui que ce soit. Enfin presque…

Certains acteurs se sont néanmoins réservé des droits, notamment sur les marques et les logos. Ainsi Firefox et son logo sont des marques déposées appartenant à la fondation Mozilla. Si je modifie le logiciel, je dois changer le nom et le logo. Cas concret : Iceweasel.

Pour Ubuntu, il en va de même. Si OVH met à disposition de ses clients une version modifiée d’Ubuntu, il doit changer le nom et le logo. Avantage OVH ne doit rien à personne. Mais pour continuer d’utiliser le nom malgré les modifications aussi mineures soient-elles, il faut demander la permission. Cette permission peut se monnayer.

Je ne doute pas que cette « comm » d’OVH ne soit qu’une façon de mettre la pression dans le cadre de négociations commerciales. C’est de bonne guerre, mais pas de la bonne communication pour le logiciel libre… Un argument pour les anti qui ont un exemple de plus pour montrer les pratiques « douteuses » et peu transparentes des éditeurs de logiciels libres (généralisation abusive oblige) qui vous annoncent que c’est gratuit et vous facturent quand vous utilisez et ne pouvez plus faire marche arrière.

Allons un cran plus loin et imaginons que Canonical n’ait pas inclus cette mention dans sa licence et qu’OVH puisse modifier Ubuntu tout en conservant le doit d’utiliser la marque et le nom. Quelle situation aurions-nous ?

  • Pour Canonical, la disponibilité de sa distribution sur les serveurs d’OVH permet de la diffuser davantage et par ricochet de générer de futurs clients pour ses prestations.
  • Pour OVH, mettre à disposition Ubuntu sur ses serveurs, c’est attirer les utilisateurs de cette dernière vers ses offres de serveurs. Pas d’Ubuntu ? Des clients potentiels en moins.

Pour résumé, c’est une approche commerciale « gagnant-gagnant ». Les deux acteurs pourraient de fait en rester là. Cependant, difficile de savoir à qui profiterait le plus ce deal informel.

Ce genre de deal existe dans bien des cas et des échelles très différentes dans le monde du logiciel libre. Tous n’incluent pas des clauses liées au logos ou marques. Si bien que les porteurs du projet sont dans l’incapacité de réclamer quoi que ce soit à leurs utilisateurs par ce biais. C’est parfois un choix volontaire, parfois une erreur. La nature humaine étant ce qu’elle est, on sait combien il est difficile d’obtenir une contribution retour. Et pourtant c’est un des principes clés du logiciel libre.

L’approche de Mozilla ou Canonical est une façon de se garder une porte de secours face à des utilisateurs qui oublieraient de contribuer. OVH contribue-t-il à Ubuntu ?

Finalement c’est peut-être la question qu’il faut se poser. Si non, la démarche de Canonical est tout à fait légitime. Dans le cas contraire, ma foi c’est une mauvaise idée. Bref si on creuse un peu cette affaire et que l’on va au-delà de la simple polémique, il est clair que la situation est un cas d’école fort intéressant à étudier pour ceux qui s’intéressent aux mécanismes de l’économie du logiciel libre.

Pour ce qui est d’OVH et Canonical, il sera difficile de dire qui est le méchant des deux à l’arrivée. Probablement les deux et aucun des deux…

Philippe Scoffoni

Je barbote dans la mare informatique depuis 30 ans (premier ordinateur à 16 ans, un ORIC ATMOS) et je travaille à mon compte au travers de ma société Open-DSI. J'accompagne les associations, TPE et PME dans leurs choix et dans la mise en oeuvre se solutions informatiques libres.

16 réponses

  1. Guillaume dit :

    Dans quelle mesure peut-on dire que ovh ou tout autre fournisseur modifie un logiciel libre lorsqu’il met à disposition une image pré-configurée du logiciel?
    Si je suis à mon compte et que j’installe un ubuntu et quelques outils sur la machine d’un client contre paiement, dans quelle mesure ai-je modifié ubuntu?
    Qu’est-ce qui différencie ovh et moi dans ces cas là? Pourquoi eux devraient s’acquitter d’une taxe eu pas moi?
    Qui canonical factuel-il vraiment? Ovh ou ses clients?
    Un client d’ovh qui installerait ubuntu par une méthode non officiellement supporté par ovh serait-il soumi ai paiement à cette taxe?

    Le logiciel libre garanti-t-il l’égalité?

  2. Erwan dit :

    Notons aussi que Cannonical n’a pas forcément envie de recevoir des rapports de bugs ou des demandes de support pour une version modifiée de la distribution.
    Le coût peut ne pas être négligeable.

  3. @Guillaume : à priori, il ne s’agit pas de configuration, mais de modification du code source (le kernel) d’Ubuntu. J’installe (très/trop rarement) Ubuntu chez certains client. Mais je me contente d’utiliser les binaires mis à disposition et ne modifie ni ne recompile aucun source. Ce n’est pas ce que fait OVH, c’est bien différend. Canonical en l’occurrence veut facturer OVH pour lui concéder le droit de continuer à utiliser le logo et la marque (qui ne sont pas libre !) d’Ubuntu malgré les modifications
    Quand à savoir si le logiciel libre garanti l’égalité, il faudrait commencer par définir ce que c’est qu’être égaux 🙂 Je préfère la notion d’équitable « Relatif à ce qui a de l’équité, c’est-à-dire qui a une disposition à respecter les droits de chacun »
    Il est équitable que Canonical puisse espérer une contribution retour d’OVH pour l’utilisation de sa distribution. Logiciel libre ne veut pas dire gratuit encore un fois. Comme il serait équitable que les utilisateurs et contributeurs, traducteurs d’Ubuntu puissent aussi percevoir d’une manière ou d’une autre (locaux/matériels mis à disposition, bourses d’étude pour les contributeurs, etc…) une part du revenu généré par Canonical grâce à leur travail. Mais comme Canonical est basé à l’Ile de Mna, paradis fiscal, tout est opaque 🙂
    Perso, je renvoi les deux acteurs dos à dos. Tout ça c’est du business, il n’y a pas d’éthique qui entre en ligne de compte dans leurs actions, juste l’intérêt des actionnaires je pense…

  4. Bonob0h dit :

    @Philippe … il serait équitable que tous les bénévoles qui ont contribué à la notoriété etc d’ubuntu aient droit à des parts de canonical 😉
    Mais oui qu’ils se tapent dessus sans nous …
    Si au moins ça pouvait permettre d’ouvrir les yeux à la majorité des Libriste pour aller construire dans d’autres direction étiques, équitables, efficientes, etc … https://andre-ani.fr/appel-a-participation/

  5. OPi dit :

    * Est-ce que Iceweasel change de logo et de nom pour être modifié, ou est-ce qu’il est « modifié » pour ne plus avoir de logo et de nom protégés ?
    (Notez que le problème ne se pose plus car Debian a réintégré Firefox dans ses dépôts.)

    * OVH ne redistribue pas Ubuntu ; OVH utilise Ubuntu.

    * La question n’est pas de savoir si OVH est un gentil ; la question est de savoir si Ubuntu est libre.

    * Libre ne veut pas dire gratuit, c’est un fait. Mais ce fait n’est pas un argument pour imposer un retour financier.
    De plus tout logiciel libre doit pouvoir s’utiliser de façon gratuite.

  6. @OPi : le logiciel est libre, pas le logo et la marque. Ne pas tout mélanger. C’est le cas pour de nombreux logiciels libres. Je ne dis pas d’ailleurs que se soit bien ou pas 😉
    Sauf que derrière une marque et un logo, il y a des enjeux commerciaux. Même Mozilla (la fondation) a pris cette précaution. Du moment que le logiciel est modifié (OVH modifie Ubuntu), il y a risque de perte de « qualité » et donc d’image. Quand Mozilla protége son logo et sa marque en cas de modification, c’est pour éviter de voir se répandre des Firefox modifiés et potentiellement altérés, donc mauvais pour l’image du logiciel. Mais le logiciel lui est libre !
    Quand à imposer un retour financier, ce n’est pas le cas dans ce genre de modèle. OVh n’a qu’à changer le nom de la distribution genre OVHbuntu ou autre… Sauf que commercialement pour OVH ça change la donne et peut potentiellement faire peur à certains de leurs clients…

    Autre exemple : LibreOffice
    https://wiki.documentfoundation.org/TDF/Policies/Trademark_Policy/fr
    On ne peut pas faire n’importe quoi non plus… Voir la partie Usages

  7. john dit :

    Mozilla pratique la même licence avec Firefox : en cas de modification et distribution, obligation de retirer tout le branding.

  8. tuxmips dit :

    Bonjour,

    Je me pose une question que personne ne semble se poser, mais il est vrai également que je ne suis pas allé vérifier, mais est ce que OVH publie et met en ligne la version du kernel modifié ? Si non, OVH serait, de mon point de vue, un contrefacteur.

  9. Guillaume dit :

    Au temps pour moi, j’ignorais la nature des modifications effectuées par ovh.
    Dans ce cas là il est effectivement difficilement justifiable de continuer à nommer cette distribution ubuntu et donc induire en erreur les utilisateurs.

  10. SISalp dit :

    Merci pour cet article, car derrière le troll, il y a des sujets généraux et intéressants.

    Juste deux idées complémentaires :

    – Oui, il faut se préoccuper du droit des marques quand on choisit d’investir sur un logiciel, même libre. On le néglige trop souvent, surtout en début de projet. Pour citer un exemple vécu, quand le projet Tryton a été créé, la marque a été reprise par la fondation éponyme pour qu’elle reste sous le contrôle de sa communauté. C’était important.

    – Dire qu’on modifie Ubuntu quand on modifie le kernel est à la limite de la mauvaise foie, surtout sur un serveur.
    D’une part parce que la recompilation du noyau est une fonction standard essentielle de linux, comme la recompilation de n’importe quel code libre,
    D’autre part parce que de nombreux serveurs ubuntu tournent en containers sur un « exo-noyau » en OpenVZ ou LXC, et dans ce cas, on n’utilise Ubuntu que pour sa gestion de paquets et de releases.

    Bon je retourne à mes serveurs Debian et me félicite de « me tenir à l’écart », comme dirait quelqu’un 😉

  11. @SISalp : concernant la modification du kernel, effectivement on peut se poser la question 🙂 Je pense qu’on est en zone grise entre ce qui est tolérable/acceptable en terme de modification (cette notion apparaît dans le lien que je donne pour LibreOffice d’ailleurs) et ce qui est vraiment de la modification. On est entre application stricte et latitude laissée car il y a un rapport gagnant/gagnant. Pas étonnant que le bras de fer prenne la tournure que lui a donné OVH…

  12. SISalp dit :

    @tuxmix et @Guillaume : Bien tenté, mais le troll, c’est le vendredi d’habitude 😉
    J’adore : Le contrefacteur induit en erreur les utilisateurs, ils croient utiliser un gnu-linux mais c’est un gnu-linux modifié !!

    Il n’est vraiment pas dans le pouvoir de Canonical d’interdire de modifier le logiciel sous le droit de la contre-façon.
    Si Canonical veut restreindre la liberté d’un logiciel, qu’ils n’ont pas écrit, par le droit des marques, alors peut-être est-on dans un nouveau cas de « logiciel libre piégé » https://www.gnu.org/philosophy/when-free-depends-on-nonfree.html traduction française : http://sisalp.fr/index.php/post/OpenERP-et-Odoo-Community-Edition-un-logiciel-libre-diachroniquement-piege-l-analyse-de-Richard-Stallman

    Pour éviter ce piège, il suffit de le savoir :-))

  13. >Bien tenté, mais le troll, c’est le vendredi d’habitude
    Il faut savoir être en avance sur son temps :-p
    Le piège de la marque et du logo n’est pas évoqué en tant que tel par Stallman. A mon sens c’est un piège tout relatif puisqu’il suffit de ne pas les utiliser. Je n’appellerais pas cela un piège, mais une protection contre des versions dérivées.
    Cas d’école, que prévoit d’ailleurs Tryton si je fais une version bien modifiée de ce dernier que je diffuse sous le même nom ? En gros un fork qui garde le nom ? Possible ?

  14. SISalp dit :

    > Le piège de la marque et du logo n’est pas évoqué en tant que tel par Stallman. A mon sens c’est un piège tout relatif puisqu’il suffit de ne pas les utiliser. Je > n’appellerais pas cela un piège, mais une protection contre des versions dérivées.

    Je pense que c’est un piège ou que ça y ressemble si les utilisateurs pensent pouvoir diffuser des versions modifiées et découvrent plus tard qu’ils ne peuvent pas le faire, malgré la licence qui en fait obligation. Enfin, en fait je n’ai rien contre Canonical tant qu’ils n’utilisent pas leur marque pour contourner les licences.

    Ubuntu est une distribution dérivée de Debian parce qu’elle a ses propres dépôts, pas pour tel ou tel patch du kernel. En comparaison, OVH ne lance pas un fork des dépôts d’Ubuntu, il fait seulement en sorte de pouvoir le diffuser sur ses plate-formes. Quand j’héberge Odoo, je suis aussi obligé de le patcher pour améliorer la sécurité en ligne et le mettre derrière un proxy.

    >Cas d’école, que prévoit d’ailleurs Tryton si je fais une version bien modifiée de ce dernier que je diffuse sous le même nom ? En gros un fork qui garde le nom ?
    Je ne suis pas juriste, mais je pense que chaque projet client Tryton est déjà un fork qui garde le nom Tryton (ou pas, comme tu veux). L’essentiel est que les sources modifiés soient livrés au client. La propriété de la marque Tryton a d’abord pour but de protéger la communauté Tryton contre quelqu’un qui voudrait interdire à Tryton d’utiliser Tryton. Le conflit qui surviendrait (ou pas) en cas de duplication des dépôts serait arbitré par la fondation Tryton qui possède la marque Tryton, ça paraît cohérent et logique.

  15. seb24 dit :

    @SISalp C’est il me semble pas la premiere fois que Canonical fait ce genre de chose. Ils n’ont rien a réclamer sur le code mais sur la marque. L’idée étant : si tu annonces distribuer Ubuntu il faut distribuer Ubuntu supporte par Canonical. Sinon ce n’est plus vraiment Ubuntu.

    Apres je comprends l’idée dans le sens ou Canonical vit du support de ses produits principalement. Du coup ils font payer des clients et offrent de SLA et autre garanties, ou encore la possibilité de connecter Ubuntu a leur service Landscape et autre. Bref si tu te retrouves avec une version d’Ubuntu modifie ils ne peuvent plus vraiment garantir que tout va fonctionner comme prévu.

    Maintenant il devrait peut être proposer une « marque » alternative. Genre « powered by Ubuntu » ou « Based on Ubuntu ». Et avoir une com plus claire sur le sujet.

  16. SISalp dit :

    @seb24 si tu regardes un Ubuntu sur un serveur OVH, le fichier apt-sources pointe sur les serveurs Ubuntu, ce n’est donc pas OVH qui le distribue, mais bien Canonical.
    Ubuntu distribue du logiciel libre issu de projets libres, ils doivent en respecter la licence et ce n’est pas contesté. Les notions de « logiciel non modifié », « garantie », « vraiment Ubuntu » viennent du logiciel propriétaire et n’ont aucun sens ici. Heureusement d’ailleurs que Canonical ne garantit pas le code qu’ils incorporent.
    Powered by ou Based on tendrait à faire croire qu’ils sont les auteurs du logiciel qu’ils distribuent. Ubuntu est powered by Gnu-Linux et Based on Debian packet manager.
    La question est uniquement dans l’utilisation de la marque « Ubuntu » , c’est un conflit commercial où Canonical tente de monayer la notoriété que la communauté l’a aidé à bâtir. A eux de le faire avec discernement.