IA et jugement professionnel : quand l’intelligence artificielle devient juge des tarifs
L’intelligence artificielle s’infiltre dans de nombreux aspects de nos métiers. Parfois pour le meilleur, parfois pour des usages… disons maladroits. Dernière expérience en date : la réception d’une réponse à un devis de support de 8 heures, facturé 106 € HT/heure, accompagnée d’une analyse tarifaire générée par une IA, en l’occurrence ChatGPT.
Le retour du prospect était sans appel : selon lui, même un médecin Bac+8 ne facture pas ce tarif-là. Il estimait qu’un garagiste, avec son atelier, ses charges et son matériel, restait en dessous, à 70 € HT. Et pour appuyer son propos, il nous transmettait le diagnostic d’une intelligence artificielle : une moyenne à 65 € HT de l’heure, une médiane à 60 €, et une conclusion lapidaire – notre tarif est « très élevé », acceptable uniquement dans le cadre d’une expertise très haut de gamme.
Ce qui, en soi, serait presque drôle… si cela ne devenait pas un argument de négociation.
Une IA ne connaît ni le métier, ni ses contraintes
Il y a là une confusion que l’on voit de plus en plus : prendre une IA généraliste, conçue pour traiter du langage et agréger des contenus, et lui confier la mission de trancher sur des réalités économiques concrètes. Mais à quoi compare-t-on exactement ? L’intelligence artificielle ne connaît ni la complexité du métier, ni le périmètre du service rendu, ni le niveau d’engagement ou les responsabilités qu’il implique. Elle ignore les attentes du client, la qualité du livrable, les exigences réglementaires, les délais à respecter, les contextes d’usage.
Elle livre une réponse probabiliste, fondée sur un vaste corpus plus ou moins représentatif, et surtout, totalement hors-sol lorsqu’on parle d’un cas précis, dans un contexte donné.
Le prix d’un service ne se lit pas dans une moyenne
Un tarif n’est pas une donnée universelle. C’est la traduction d’un engagement. Il reflète une expérience acquise, une rigueur de méthode, une capacité à anticiper les problèmes, à documenter les réponses, à garantir des délais. Ce que nous vendons, ce n’est pas huit heures de présence. Ce sont des solutions fiables, contextualisées, pérennes. Ce sont aussi des erreurs évitées, des délais raccourcis, des interfaces clarifiées. Et tout cela, l’intelligence artificielle n’en a pas conscience.
Elle ne mesure pas la valeur produite. Elle ne connaît pas le stress d’un client bloqué, ni la responsabilité du prestataire qui s’engage à livrer dans les temps. Elle ne sait pas ce qu’implique une bonne documentation, ni le coût caché de la mauvaise réponse donnée trop vite.
L’IA comme outil, pas comme juge
Chez Easya Solutions, nous utilisons l’intelligence artificielle. Nous l’intégrons dans nos outils internes, nous l’explorons dans nos réflexions produit. Mais jamais nous ne lui déléguerions un jugement sur la valeur d’un travail humain. Car ce qu’elle peut proposer, ce sont des suggestions, des tendances, des reformulations. Pas des décisions.
Une IA ne porte pas la responsabilité d’une erreur. Elle n’assure pas la qualité de ce qu’elle affirme. Elle ne s’engage pas contractuellement. Elle ne garantit rien. Elle n’a pas à faire face à un client mécontent. Son analyse n’a de valeur que si elle est relue, recadrée, replacée dans un contexte humain.
Confier à une IA grand public le soin de juger ce qui est « trop cher » ou « acceptable », c’est lui donner une autorité qu’elle n’a pas, et surtout qu’elle ne revendique pas.
Un tarif construit sur des engagements concrets
Pourquoi 106 € HT/heure ? Parce que c’est le prix juste pour un service qui repose sur des années d’expérience, une connaissance approfondie des outils libres, une capacité à intervenir vite et bien, et une rigueur dans le suivi client. C’est le prix d’une autonomie technique, d’une clarté dans les échanges, d’une absence de mauvaise surprise. C’est un tarif pensé non pas pour maximiser le volume, mais pour garantir la qualité, la durabilité, la transparence.
Ce n’est pas le prix d’une moyenne. C’est celui d’un engagement.
Le numérique responsable passe aussi par la juste reconnaissance du travail
Ce genre d’anecdote dit quelque chose de notre époque. À force de vouloir tout automatiser, tout rationaliser, on finit par oublier que certains métiers ne se laissent pas réduire à un prix moyen, à une matrice Excel, ou à une réponse générée.
La valeur d’un travail ne réside pas dans sa conformité à une courbe de Gauss. Elle réside dans ce qu’il apporte réellement à celui qui en bénéficie. Elle se mesure dans la confiance construite, dans la sérénité apportée, dans les problèmes évités. Et cela, aucune IA ne peut encore l’évaluer.
Une IA bien utilisée, c’est une IA encadrée
je crois dans le potentiel de l’intelligence artificielle. Mais à condition de lui donner la place qui est la sienne : celle d’un outil. Pas d’un arbitre, encore moins d’un juge. L’IA peut nous aider à mieux travailler. Elle ne peut pas décider à notre place. Elle peut compléter notre réflexion, pas s’y substituer.
Ce que cette anecdote nous enseigne, au fond, c’est que l’intelligence artificielle ne doit pas devenir un argument d’autorité. Elle doit rester une brique dans une démarche de discernement. Et tant que l’humain reste responsable des décisions qu’il prend, c’est lui – et lui seul – qui doit fixer la valeur de son travail.

