Economie de la rareté et logiciels libres – 3/3
Les logiciels libres sont caractérisés par des licences qui suppriment une source de revenus importante sur laquelle s’est basée le développement de l’informatique ces 30 dernières années : la vente de droit d’utilisation. Quelles sont les autres sources de revenus qui subsistent et en apparaît-il de nouvelles ?
Les précédents épisodes :
Quand on parle de modèle économique du logiciel libre, il est habituel de dire qu’il n’y en a pas un, mais plusieurs dizaines. Les acteurs de ce domaine ont tous tenté et exploré des voies différentes pour tenter de remédier à la disparition de revenu liés à l’absence de vente de droit d’utilisation.
La suppression de cette rareté a finalement pour conséquence de mettre ou remettre au premier plan la rareté d’autres ressources comme :
- L’infrastructure : les machines pour faire fonctionner les logiciels ;
- L’industrialisation : la capacité à assembler des solutions et à les faire fonctionner ensemble et/ou à grande échelle ;
- L’individu : ses compétences, sa connaissance du logiciel ;
De ces raretés découle le fait que l’économie du logiciel libre ne soit basée que sur le service. Passons en revue les sources de revenus.
La licence double
Elle est paradoxalement une forme de retour en arrière. Il s’agit de placer un logiciel sous deux licences : l’une complètement libre permettant à quiconque de faire usage du logiciel sans restriction. La seconde est dite licence commerciale et est bien plus permissive. Notamment, il s’agit de donner à celui qui l’utilise le droit d’utiliser des extensions qui ne sont pas placées sous licence libre ou encore d’intégrer le logiciel dans une solution commercialisée sous licence non libre. Les possibilités sont multiples en la matière.
Cette approche est encore beaucoup utilisée par les éditeurs de logiciels libres que l’on doit d’ailleurs plutôt appeler éditeur open source, car on s’éloigne ici de l’éthique du logiciel libre pour en rester à l’ouverture du code.
L’open core s’appuie également sur l’utilisation de licences multiples ne plaçant pas l’ensemble du code sous licence libre. Seul le « cœur » du logiciel est totalement libre. Les revenus se font alors sur les ventes des licences dites « professionnelles ».
Il est indéniable que ce modèle, bien que critiquable du point de vue de l’éthique du logiciel libre, a largement contribué à la diffusion et au développement de solutions professionnelles basées sur les licences libres ou open source.
L’ouverture décalée
Cette approche est assez peu utilisée. Elle consiste à ne placer un logiciel sous une licence libre qu’une fois son coût financé par la vente de droits d’utilisation aux premiers utilisateurs. Un choix difficile à mettre en œuvre sans risquer de provoquer soit un « attentisme » de la part des utilisateurs, soit s’ils n’ont pas été prévenus dès le début, un mécontentement de ceux qui ont financé initialement le logiciel.
Elle est néanmoins utilisée dans le cadre de certains projets libres pour financer de nouvelles fonctionnalités. Une façon d’inciter les utilisateurs d’un logiciel à jouer le jeu de la contribution financière. Ce type d’approche est mise en œuvre par le projet OPSI sous le nom de projet de co-financement.
Il existe une approche mathématique mettant en jeu une libération décalée du logiciel. Elle est cependant encore difficile à mettre en œuvre, mais pas impossible. Vous pouvez trouver une présentation de ce concept sous le nom de « théorie du partage marchand ».
Le support
Si un logiciel libre peut être utilisé sans contrainte, cela veut également dire que l’on accepte de l’utiliser « à ses risques et périls ». La responsabilité de l’auteur est dégagée (lisez les licences). Autrement dit, en cas de défaillance du logiciel vous devez remédier vous-même au problème.
Des sociétés ont donc tout naturellement utilisé cette source de revenus pour dégager des revenus permettant de financer le développement ou la contribution à un logiciel libre. Cette source de revenu est obtenue de façon directe (l’utilisateur final paie le support à l’éditeur) ou indirecte (une société de service paie un support avancé à l’éditeur).
Mais un éditeur peut être concurrencé sur ce type de revenu par d’autres sociétés de service proposant du support sur le même logiciel. Cette activité ne permet pas forcément de dégager des marges très importantes. Dans certaines cas, si le logiciel n’est pas maintenu par plusieurs acteurs, ces revenus peuvent se révéler insuffisants pour maintenir l’activité du seul éditeur.
Le développement à façon
Il s’agit ici de réaliser des prestations visant à compléter ou améliorer un logiciel libre en fonction du besoin exprimé par le client. C’est une activité traditionnelle des sociétés de service informatique.
L’hébergement ou SaaS
Il n’est pas donné à tout le monde de disposer de serveurs pour héberger une application. Il est parfois souhaitable de confier cette prestation à une société spécialisée. C’est aussi ce que l’on appelle aujourd’hui le SaaS ou Software as a Service souvent associé au terme cloud computing.
Beaucoup d’éditeurs de logiciels libres complètent ainsi leurs revenus lorsque leur logiciel s’y prête. Ce type de prestation permet de dégager des revenus plus ou moins récurrents.
La formation
Encore une activité traditionnelle du monde du logiciel informatique. Elle s’applique bien entendu aux logiciels libres.
Le don
Une source de revenus souvent employée par les projets associatifs. Elle est cependant assez peu rémunératrice et seuls les plus gros projets peuvent espérer obtenir des sommes suffisamment importantes pour supporter tout ou partie de leur activité.
Le don couplé à des stratégies de mécénat (pour les associations d’intérêt général) peut servir de soutien au lancement et au maintien d’activités associatives. Cependant en France le mécénat est surtout employé pour les œuvres caritatives et culturelles, mais très peu pour financer des projets de recherches et développements associatifs.
La publicité
Certaines associations y ont recours pour financer leurs dépenses courantes d’intendance. Il existe un exemple très connu de fondation américaine dont la quasi-totalité des revenus provient de façon indirecte de la publicité : Mozilla avec son contrat de 300 millions de dollars annuel signé depuis de nombreuses années avec Google. Mais ce cas reste quasiment unique.
Quel modèle économique au final ?
C’est la combinaison de ces différentes sources de revenus qui permet de matérialiser un modèle économique. Nous verrons dans la prochaine partie quelles sont les combinaisons de source de revenus mise en œuvre par les différents types d’acteurs du logiciel libre pour assurer leur existence.
Et si le modèle économique du numérique était à la rareté du nombre d’applications tout en se contentant du meilleurs pour qu’a tarif équitable toute la planète puisse y avoir accès et que toutes les économies faites sur ce numérique, actuellement en crise d’obésité monstrueuse, permettraient par contre d’investir la ou il y a le plus besoin !
Education, Santé, Alimentation, etc …
Mettre le « Partage Marchand » en sous catégorie de de « l’ouverture décalée » n’est certes pas faux, mais c’est très réducteur ! C’est un vrai modèle économique, générateur de nouveaux emplois et d’une nouvelle croissance « soutenable », car elle n’exige rien sur les ressources naturelles et n’a de limite que l’inventivité humaine…
Attention aussi sur l’applicabilité relative du Partage Marchand au logiciel, car ce dernier est plus un service qu’un bien immatériel. Il dépend du contexte d’utilisation et des machines. En revanche, un e-book vendu par Partage Marchand est un bien disponible à vie (quelque soit les formats de fichiers…voir Mobiquité sur Wikipedia). Cependant, je vous remercie d’évoquer le PM avant qu’il ne se développe.