Logiciel propriétaire, quels enjeux face à l’open source ?

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Cet article fait suite à une sollicitation reçue par mail où l’on me posait quelques questions auxquelles il m’a paru intéressant de prendre un peu de temps pour y répondre. La thématique principale est celle des logiciels propriétaires et des enjeux face à la montée de l’open source. Une réflexion qui de plus m’oblige à regarder les choses de l’autre côté de la lorgnette.

Sur le plan économique

Le modèle économique du logiciel propriétaire basé sur l’octroi d’un droit d’utilisation contre le versement d’une contrepartie financière a fait et continu de faire les beaux jours de quantités d’éditeurs et intégrateurs de solutions informatiques. C’est la stratégie de valorisation qui tend à appliquer à l’économie numérique le même modèle que pour l’économie du carbone (celles des objets matériels).

Le fait de restreindre les droits d’utilisation permet de conserver une forme de rareté en contrôlant la diffusion du logiciel qui quoique numérique et reproductible à un coût marginal quasi nul conserve ainsi les mêmes caractéristiques qu’un bien matériel.

Ce modèle est donc basé sur le contrôle strict de la diffusion du logiciel. Pour cela seul le code exécutable est distribué et son utilisation est liée à un contrat de licence et d’usage restrictif qui régit strictement la diffusion par copie du logiciel. A ces dispositifs légaux s’ajoutent souvent des systèmes de protection logiciel par des systèmes de numéro de série, de clés logiciel ou encore matériel.

Une grande partie la croissance de l’activité informatique de ces 30 dernières années s’est fait grâce à ce modèle. Que s’est-il passé pour que l’open source commence à émerger pour devenir dans certains secteurs comme l’infrastructure incontournable ou presque ?

On peut lancer l’hypothèse que l’informatique se généralisant, la possibilité de dégager de fortes marges sur des marchés de masse s’est mécaniquement tendue. Certains acteurs et je pense notamment aux géants de l’industrie du numérique comme Google , eBay ou Amazon ont cherchés une solution pour déployer leurs infrastructures sans avoir à supporter des coûts de licences dissuasifs pour le développement de leur activité.

L’apparition des logiciels open source a offert à ces acteurs une chance dont ils se sont saisis.

Ce phénomène ne s’est pas produit pour tous les secteurs de l’informatique. Les postes de travail malgré l’explosion de leur nombre sont restés majoritairement équipés par les logiciels de Microsoft. La situation est différente, car les utilisateurs du logiciel sont différents.

Les logiciels d’infrastructure sont utilisés par des techniciens informatiques, pas les logiciels bureautiques. Si bien que la « rugosité » des applications open source n’a pas été vue comme un frein à leur utilisation.

Si je prends l’exemple des logiciels de Business Intelligence, les solutions open source se sont durablement implantées. Or ces solutions s’adressent en priorité à des informaticiens qui vont concevoir les outils d’analyse de données et de reporting des utilisateurs qui ne verront alors que la partie immergée de l’iceberg et ne seront par conséquent pas impactés.

On peut tout à fait opposer à ce raisonnement le fait que des informaticiens préféreront toujours utiliser les logiciels les plus confortables aussi. Sauf que les demandeurs sont de moins enclins à accepter des budgets pharaoniques et poussent donc les informaticiens à trouver les solutions offrant un coût de revient le plus bas possible.

Cela signifie-t-il que le logiciel propriétaire va voir sa place inéluctablement diminuer ?

Rien n’est moins sur, même si les logiciels open source continuent de progresser dans le domaine de l’ergonomie et de la facilité d’utilisation. Je rejoins ici les derniers articles que j’ai pu écrire autour des éditeurs open source et la dérive possible ou constatée de ces derniers vers des offres commerciales qui à nouveau enferment l’utilisateur dans des systèmes de licences semi-ouvertes. En procédant ainsi, ils offrent aux éditeurs propriétaires l’opportunité de maintenir leurs offres et leur modèle.

Arrive-t-on aux limites du modèle propriétaire traditionnel?

Le logiciel propriétaire a déjà réajusté ces offres et ces méthodes marketing. Face à la gratuité des logiciels open source, ils opposent désormais des versions simplifiées de leurs produits phares. On peut citer par exemple la version Esxi de Vmware qui offre un excellent outil de virtualisation d’entrée de gamme.

On ne peut ici que remarquer une forme de convergence entre les deux modèles dans les approches technico-marketing : des versions allégées gratuites et des versions « réellement utilisables » payantes.

Les bénéfices records de Microsoft en 2010 semblent montrer que le logiciel propriétaire est encore en pleine forme. Si on se penche sur ces résultats on constate que l’activité bureautique (système d’exploitation et suite bureautique)  génère des résultats très élevés. Ce qui tend à montrer que sur ce terrain l’open source ne progresse pas. L’activité serveur n’est pas en reste même si elle est très en retrait par rapport à la précédente. L’open source est peut-être passé par là.

Une autre adaptation du logiciel propriétaire est son adoption de plus en plus fréquente des protocoles et formats ouverts. Un exemple sur le sujet : Le format OOXML de la suite Microsoft qui est ouvert même s’il reste soumis à des accords de licence incompatibles avec les logiciels sous licence GPL.

Dans le domaine de virtualisation, on notera aussi les efforts de Vmware autour du format ouvert OVF (Open Virtual Machine Format) pour le stockage des machines virtuelles. Un format qui s’il était adopté largement permettrait une véritable interopérabilité entre les plateformes de virtualisation.

Compte tenu des éléments évoqués précédemment, une évolution du modèle du logiciel propriétaire était inévitable. Les éditeurs vont donc poursuivre leur stratégie d’adaptation face à l’arrivée des logiciels open source. C’est un des enjeux qu’il leur faut résoudre pour continuer d’exister.

Sur le plan politique

Si dans le monde des affaires on peut accepter certaines pratiques, lorsqu’il s’agit de gérer les biens communs et les services d’une nation. le problème est tout autre. Les orientations que peuvent donner nos institutions que ce soit au travers de normes ou de bonnes pratiques communes aux administrations publiques ne sont pas sans répercussion sur le plan économique. Séparer le politique de l’économique serait un non-sens.

Un exemple en la matière est celui du RGI (Référentiel général d’interopérabilité). La version finale de ce document a été fortement critiquée par les partisans du logiciel libre lors de l’ajout de l’acceptabilité du format OOXML de Microsoft. Un ajout résultant certainement de pressions de l’éditeur.

Dans le domaine de l’éducation, le choix là aussi de l’utilisation ou non de logiciels propriétaire est structurant et va au-delà du simple aspect pratique. On sait que c’est dans ces années que se prennent les premières habitudes qui seront difficiles à modifier dans le futur. Le choix des outils sur lequel vont être formés des informaticiens, mais aussi d’autres corps de métiers influencera leur choix et attente futurs.

Le logiciel propriétaire se doit donc de rester présent à tout prix dans le secteur public. Un grand danger pour lui serait de se voir exclu, car jugé contraire à l’intérêt public.

Sur le plan éthique

Existe-t-il une éthique du logiciel propriétaire ? Une question à laquelle on peut être tenté de répondre qu’il ne peut en exister. Et pourtant peut-on imaginer un logiciel propriétaire « gentil ».

Cela me refait penser à un texte de Benjamin Bayart concernant les logiciels « libérateurs ». Voici extrait de son texte quelques principes devant définir un tel logiciel :

  • Est dit libérateur un logiciel qui n’entrave pas sans raison ni acceptation de sa part la liberté de celui qui l’utilise.
  • Si un logiciel s’accapare les données de l’utilisateur et est incapable d’interopérer de manière normalisée à partir de ces données, il porte atteinte sans raison à la liberté de l’utilisateur.
  • Si un logiciel stocke les données de l’utilisateur dans un format qu’il est seul à savoir lire, il ne peut pas être dit libérateur.
  • Un logiciel qui tend à masquer tout ou partie de l’information ne peut pas être dit libérateur.
  • Un logiciel dont on n’assure pas qu’il soit capable de lire ses anciens documents, fût-ce en diffusant ses vieilles versions, ne peut pas être dit libérateur.

Ce qui est intéressant dans cette définition, c’est que l’ouverture du code n’y est pas abordée. Ce n’est pas une qualité requise pour faire un programme libérateur.

Un exemple intéressant dans ce domaine serait celui du navigateur web Opera. C’est un logiciel propriétaire qui pourtant est particulièrement respectueux des standards du web et qui œuvre donc à maintenir ce dernier ouvert. Les règles du logiciel libérateur s’appliquent à lui.

Le logiciel libre a été fondé sur des valeurs éthiques et morales. Le logiciel propriétaire doit-il se définir une nouvelle ligne de conduite et se rapprocher des valeurs du logiciel libérateur ? Un point qui nous rapproche des efforts réels fait par certains éditeurs même si l’on sent que les vieilles habitudes ont du mal à disparaître. Dans le secteur de la virtualisation, un éditeur comme Vmware rappelait récemment son attachement aux standards ouverts même si leurs programmes restent fermés.

Conclusion

Un point qui pourrait être important dans la prépondérance d’un modèle ou de l’autre est celui des entreprises elles-mêmes. N’oublions pas ce chiffre : 80% des logiciels ne sont ni libres ni propriétaires. Ce sont des développements internes d’entreprises.

Tout l’enjeu pour le logiciel propriétaire sera de résister à l’économie de la connaissance  qui s’oppose à l’économie du capital actuellement dominante auquel il est lié.

Philippe Scoffoni

Je barbote dans la mare informatique depuis 30 ans (premier ordinateur à 16 ans, un ORIC ATMOS) et je travaille à mon compte au travers de ma société Open-DSI. J'accompagne les associations, TPE et PME dans leurs choix et dans la mise en oeuvre se solutions informatiques libres.

2 réponses

  1. 26 juillet 2010

    […] This post was mentioned on Twitter by Philippe Scoffoni and FOSSwiki, Alexandre Zermati. Alexandre Zermati said: Philippe Scoffoni – Logiciel propriétaire, quels enjeux face à l’open source ? http://bit.ly/b2Ioyi […]

  2. 30 juillet 2010