Choisir l’open source d’un point de vue stratégique : Entrevue avec Jonathan Le Lous

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Jonathan Le Lous effectue une thèse au Département Stratégie de l’IAE de Toulouse. Il est passionné tout comme moi par le logiciel open source bien qu’il ne soit pas un informaticien de formation. Nous avons eu l’occasion d’échanger à plusieurs reprises par commentaires et articles entre nos deux sites. Vous pouvez retrouver Jonathan sur son blog : IT, service et open source: questions précises et réponses vagues.

Son approche de l’open source dépasse le simple cadre de la technologie. Il s’intéresse à la façon dont les entreprises peuvent utiliser l’open source et aux gains qu’elles peuvent y trouver.

Jonathan a bien voulu répondre à quelques questions que je lui ai soumis.

Jonathan Le LousPeux-tu nous présenter le Master que tu es en train de faire, je ne connaissais pas ce type de formation ?

Jonathan Le Lous : Pour être exact j’ai terminé mon Master 2 et je suis actuellement en doctorat en science de gestion dans le département stratégie de l’IAE de Toulouse.
Je travaille sur l’innovation dans les services. Mon sujet d’analyse est les SSII et l’intégration de l’open source dans leurs stratégies.
Le Master 2 management de l’innovation a vocation a formé des professionnels de l’innovation d’un point de vu stratégique, juridique et économique.

Comment es-tu venu à t’intéresser à l’open source, à priori rien dans ton cursus ne semblait te diriger vers l’information ?

J.L.J : Le boulot ! Je travaillais dans la formation professionnelle, plus particulièrement dans le conseil. J’ai intégré pendant 4 ans Libenti, qui propose du conseil en RH et est, de plus, un organisme de formation spécialisé dans l’open source. J’ai ainsi découvert, entre autres, Mandrake sur mon poste de travail et on partageait un open space avec une start-up du libre, Ovéa. Libenti est aussi membre de l’Adullact, de All…
J’avoue avoir accroché tout de suite avec la philosophie de la communauté.

En quoi consiste le projet Intelli’N, quel sont ces objectifs ?

J.L.J : Intelli’N est un Cluster. C’est un groupement d’entreprises, d’associations et d’experts des TIC qui se regroupent pour travailler sur les problématiques de l’open source.

Pour citer son président Alain Crémont :

« Intelli’N est avant tout un projet d’entreprises, il a vocation à structurer l’activité économique autour de l’open source. Il doit permettre aux acteurs du secteur informatique de développer leurs activités, de s’unir pour faire face à un enjeu majeur du marché de l’informatique de demain. Le cluster doit être un outil de mutualisation d’expériences, de compétences, être un lieu d’échange et permettre ainsi de créer une dynamique positive et constructive dans la période difficile qui s’annonce. »

Il représente aujourd’hui une dizaine de structures pour un CA cumulé de 20 millions d’euros et 200 collaborateurs.

Intelli’N se développe autour de deux axes:

  • Le pôle économique qui a pour vocation de développer l’activité des membres autour de l’open source,
  • Le pôle R&D qui intègre ma thèse ainsi que des recherches sur des projets open source et (un projet qui me tient particulièrement à cœur) un travail sur la mise en place d’une certification qualité.

Intelli’N est soutenu par La Région Picardie, Le Conseil Général de l’Aisne, la communauté d’Agglomération de Soissons et la CCI de l’Aisne, entre autres.

Quels sont tes meilleurs arguments pour convaincre quelqu’un de l’intérêt des solutions open source ?

J.L.J : Alors, il va me falloir au moins 10 pages 😉
Pour le client:

  • Transférer le coût d’achat des licences en services et développer un produit sur-mesure tout en bénéficiant d’une solution disposant d’un large réseau de contributeur,
  • La transparence de la technologie
  • Ne plus être un simple « Utilisateur Final » mais devenir acteur de ses applications,

“Nous envisageons le marché de l’informatique sous l’angle industriel et productiviste (on produit avant tout) alors même que nous devrions l’analyser sous l’angle du service. Ce qui fait la valeur ajoutée d’un logiciel, d’une application c’est le sur mesure, l’individualisation, la relation de service créée entre le client et le prestataire et non pas le produit industriel formaté.”Pour le prestataire:

  • Une stratégie de R&D pertinente surtout pour les petites et moyennes entreprises !,
  • La possibilité de puiser dans un patrimoine logiciel important,
  • Le suivi de la qualité grâce au retour de la communauté et des utilisateurs, les clients en ont marre de passer pour des « entreprises pilotes », qui doivent se farcir tous les bugs avant que la solution soit viable…

Je suis effaré de voir la perte d’énergie qui existe dans l’informatique. A chaque fois que je rencontre une entreprise, je m’aperçois qu’elle développe de son côté, avec plus ou moins de talent, ce que d’autres ont déjà fait… Ce serait tellement plus simple de mutualiser…

Mais bon, il n’y a pas non plus que des avantages….

Sur quels points l’open source doit-il s’améliorer selon toi ?

J.L.J : C’est complexe…
La lisibilité: C’est le bordel et il faudrait y mettre un peu plus de coordination. Beaucoup d’effort sont faits et continueront grâce, en grande partie, aux entreprises qui gravitent autour de l’open source et qui travaillent à une vision plus gestionnaire.
S’éloigner d’une démarche parfois trop militante: Elle joue contre l’open source. C’est l’analyse poussée, la discussion constructive qui impose l’open source et non pas les guerres de clochers !

Le modèle open source peut-il remplacer le modèle propriétaire ?

J.L.J : Je pense sincèrement que le modèle open source est un modèle économiquement viable, qu’il est capable de montrer sa suprématie dans beaucoup de projets. Personnellement je milite pour qu’il prouve son efficacité en amenant les entreprises à choisir l’open source d’un point de vue stratégique !!
Par contre le modèle propriétaire a encore de belles heures devant lui ! Tout simplement parce qu’il reste très efficace dans certains domaines tel que les logiciels métiers hyper spécifiques, dans des secteurs proches de l’industrie…
De toute façon ce n’est pas nous qui choisirons qui doit rester ou pas mais le fameux « Marché » (et surtout les clients et leurs volontés d’adoption pour une bonne ou mauvaise raison)…..
De plus la nature a horreur du vide, c’est d’ailleurs pour cela que le libre est apparu alors ne faisons pas l’erreur de croire en une vision techno-centrée idyllique.

L’avantage concurrentiel d’une solution repose parfois sur une innovation technique. Comment garder son avantage si on le rend public ? Est-ce une limite du modèle open source ?

J.L.J :Tu veux me faire écrire un livre !!!! 😉 Je pense que nous sommes encore dans une logique industrielle alors même que nous avons passé le cap de l’industrie il y a plus de 50 ans !

Nous envisageons le marché de l’informatique sous l’angle industriel et productiviste (on produit avant tout) alors même que nous devrions l’analyser sous l’angle du service. Ce qui fait la valeur ajoutée d’un logiciel, d’une application c’est le sur mesure, l’individualisation, la relation de service créée entre le client et le prestataire et non pas le produit industriel formaté.

Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas de développement technologique, ni de recherche appliquée ou fondamentale mais seulement que l’enjeu final sera le positionnement sur le marché et non pas la maîtrise technologique surtout dans le domaine du logiciel ! Combien d’exemples avons-nous de technologies dîtes « révolutionnaires » qui n’ont rien données et qui dorment dans un placard ? Pourquoi parce qu’elles n’ont pas rencontrée de « marché » comme disent les personnes du marketing.
L’avantage concurrentiel se fera donc par la capacité qu’aura l’entreprise d’offrir la solution la plus pertinente à un moment donné à partir du besoin client ! C’est d’ailleurs ce qui fait le succès du libre: la flexibilité de son mode de production, le libre part du besoin à l’inverse du modèle classique.

Ce qui ne doit pas empêcher de standardiser, de structurer, de générer du process et permettre un déploiement simplifié et des économies d’échelle mais le temps du programme packagé hyper rigide est bientôt fini (quand ?); On le voit bien avec l’arrivée du cloud computing.

En mutualisant, on limite le risque d’erreur et on répartit l’investissement sur plusieurs entreprises. En échange on perd l’avantage du premier entrant. Avec l’inflation logiciel de ces derniers temps, l’avantage issu de l’innovation disparaît très vite, voire est parfois nulle car rapidement les concurrents arrivent derrière. Personnellement, je pense que les lois concernant l’adoption des techno, la captation…vont petit à petit disparaître car nous sommes dans un marché plus mature et de que le mode de production des logiciels est beaucoup plus flexible, et moins coûteux, que celui d’un bien industriel.

Encore une fois ce modèle n’est pas valable partout, je pense aux logiciels spécifiques à l’aviation, à l’industrie de pointe, à des domaines qui incluent que l’innovation soit intégrer dans une stratégie industrielle forte et non pas sur un marché de service.

La limite du modèle repose actuellement sur sa pérennité: Comment peut-on (doit-on) rémunérer les éditeurs ? Les développeurs ? La limite actuelle du libre est là et on s’aperçoit que les SSLL ne jouent pas toujours le jeu du libre justement parce qu’elles sont les seules à supporter le développement et qu’il faut le rentabiliser. En voulant, pour certaine, monopoliser l’intégration et le déploiement, elles jouent à l’encontre du modèle et se rapproche d’une pratique propriétaire….

Après ta thèse comment envisages-tu la suite de ta carrière ?

J.L.J : Grande question:
J’aimerai devenir enseignant-chercheur au sein d’écoles d’ingénieurs, de gestion ou à l’Université. Il est probable que je travaillerai aussi dans le conseil. J’aime les challenges, donc je serais peut-être amené à gérer des projets innovants…

Merci Jonathan pour le temps consacré à ces questions !

Retrouver Jonathan sur son blog : IT, service et open source: questions précises et réponses vagues.

Lisez également cet article sur les Business Model de l’open source.

Philippe Scoffoni

Je barbote dans la mare informatique depuis 30 ans (premier ordinateur à 16 ans, un ORIC ATMOS) et je travaille à mon compte au travers de ma société Open-DSI. J'accompagne les associations, TPE et PME dans leurs choix et dans la mise en oeuvre se solutions informatiques libres.