Un adware Amazon dans Ubuntu 12.10 ou X-repetita, quel avenir pour le logiciel libre ?

closeCet article a été publié il y a 11 ans 6 mois 24 jours, il est donc possible qu’il ne soit plus à jour. Les informations proposées sont donc peut-être expirées.

Canonical, la société éditrice d’Ubuntu, a intégré au moteur de recherche du bureau Unity une fonction présentant des produits du site Amazon. Il n’en faut pas moins pour déclencher la colère de certains aficionados du logiciel libre. Mark Shuttleworth prend évidemment la défense de cette nouvelle fonctionnalité. Tentative de monétisation, ou « preuve du concept » pour une nouvelle fonctionnalité ? La communauté suivra-telle indéfiniment ? L’avenir d’Ubuntu est-il déjà écrit ? Que de questions…

Il était une fois les AdWares

Parmi les choses que j’apprécie dans les logiciels libres, c’est de ne pas devoir me méfier lors de l’installation d’un logiciel, si celui-ci va ajouter de façon plus ou moins sournoise un petit logiciel complémentaire. On les appelle aussi les Adwares ou encore Publiciels. Leur fonction n’est pas méchante et n’a souvent pour objectif que de vous amener à un moment ou à un autre à une page web qui vous suggérera des produits à acheter.

Le chemin passe souvent par l’intégration d’une barre de navigation dans votre  navigateur web dont le moteur de recherche par défaut sera modifié pour vous envoyer vers celui avec lequel le concepteur du  logiciel a passé un accord. Un accord valorisé souvent à la hauteur de la notoriété du logiciel. Le phénomène du AdWare était jusqu’à présent cantonné  principalement au système d’exploitation de Microsoft.

Les programmes faisant usage de la technique du Adware sont souvent des logiciels gratuits (mais pas sous licence de logiciel libre). Cependant, j’ai cru noter ces derniers temps que quelques logiciels libres s’étaient aussi mis à cette pratique, à moins que ce ne soit des tiers qui réalisent des assemblages d’adware avec des logiciels libres. Une pratique bien évidement peu scrupuleuse, car je doute que le projet dudit logiciel touche en retour quelque monnaie que ce soit.

Je citerais tout de même dans le monde du logiciel libre : Firefox dont le moteur de recherche par défaut est celui de Google. Une forme d’AdWare (coup sous la ceinture, crient les supporters de Mozilla ! ) qui rapporte tout de même la bagatelle de 300 millions de dollars par an à la Fondation. On peut se poser la question de savoir si jeter ainsi « dans les griffes de Google » les utilisateurs de Firefox est une façon de faire « acceptable ». En Europe, on a bien imposé à Microsoft d’offrir le choix du navigateur au premier lancement de Windows. Pourquoi ne pas faire de même pour le moteur de recherche d’un navigateur web?

Amazon dans les suggestions de recherche d’Unity

Dans une démarche que l’on peut qualifier de tout à fait similaire, Canonical a décidé d’intégrer dans les suggestions de résultats des recherches effectuées à l’aide du bureau Unity des liens en provenance de la boutique en ligne d’Amazon. Ces suggestions se retrouvent en bas du résultat dans la catégorie « More suggestions ». Voici une image de ce que cela donne :

Il n’en faut pas moins pour émouvoir et déclencher des torrents de commentaires. Personnellement, cette énième tentative de Canonical de trouver un moyen de rentabiliser sa distribution ne m’étonne guère. Fallait-il attendre autre chose de la part d’une société qui élève un logiciel libre à l’aide de bénévoles en leur apportant, d’après les mauvaises langues, que peu de support logistique tout en cultivant une opacité sur ses résultats commerciaux et financiers ?

Que dit la Défense ?

Et pourtant Ubuntu est une distribution facile à installer, celle que j’installe (dans sa version XUbuntu dotée du bureau XFCE) par défaut aux débutants qui veulent découvrir le monde du logiciel libre et que je continue de recommander. Mais pour combien de temps encore ?

Alors bien sûr, Mark Shuttleworth comme à chaque fois que le navire tangue un peu trop prend sa plume pour tenter de nous convaincre qu’il n’y a pas de problème, que tout est normal. Il insiste, et je le crois sincère, sur le fait que cet ajout n’est en aucun cas une intrusion dans la vie privée de l’utilisateur. Aucune donnée n’est transmise à Amazon.

Il réfute également le terme d »Ads » pour désigner cette fonctionnalité qui n’est pas sans rappeler d’ailleurs celle de Windows 8 qui permet également à des applications d’ajouter des résultats complémentaires aux recherches faites avec le système d’exploitation. Il reconnaît que le système n’est pas encore parfait et qu’il manque une option pour facilement « cacher » ces résultats.

Il s’agissait de démontrer par la pratique les possibilités offertes par le bureau Unity. Il ne nie pas non plus que ce soit aussi une façon de générer quelques revenus, mais c’était secondaire et ais-je cru comprendre peu rémunérateur.

Les limites d’un modèle

Ubuntu n’est pas la première distribution portée par une entreprise a avoir cherché à générer des sources de revenus autour d’une distribution Grand Public. En quoi la démarche d’Ubutnu a-t-elle plus de chances de succès que celles de ses prédécesseurs dont la liste est déjà longue (Linspire, Xandros, Mandriva, etc..) ? Mark Shuttleworth aurait-il une vision plus éclairée que ses prédécesseurs ?

Inévitablement, il devra poursuivre ses tentatives de monétisation de sa distribution et plus le temps passera, plus il y sera contraint. A moins qu’il ne parvienne à dégager sur le marché des entreprises une telle marge qu’il pourra faire « cadeau » d’Ubuntu au Grand Public. Mais je crois qu’à ce jour ce n’est pas encore le cas. Combien de temps cela pourra-t-il durer ?

Il va falloir un jour que la communauté autour d’Ubuntu se pose clairement la question de savoir si elle peut accorder sa confiance à une entreprise sur laquelle elle n’a aucun contrôle. La question se pose de savoir s’il ne vaudrait pas mieux qu’elle s’investisse sur des distributions GNU/Linux à la gouvernance plus transparente comme Debian.

Une nouvelle déception ne risque-t-elle pas de provoquer un désintérêt massif  de tout ces nouveaux venus investi dans Ubuntu et qui se tourneront alors en dépit vers la Pomme comme semble déjà l’indiquer pas mal de publications récentes. Il n’y a pas de fumée sans feu.

Il n’est nullement scandaleux de chercher à générer des revenus autour d’un logiciel libre pour en financer le développement, bien au contraire c’est même la première question qui devrait se poser. Mais l’approche trop classique passant par les modèles usuels de la publicité reviennent souvent à finir par vendre les données de ses utilisateurs. Il est temps d’envisager d’autres modes de fonctionnement plus transversaux où le logiciel n’est plus au centre du modèle, mais aide à porter des usages tournés vers le plus grand nombre. C’est ce qu’on trop bien compris les Google et consorts.

Je pourrais donc écrire à nouveau, tant le problème reste d’actualité X-repetita, quel avenir pour le logiciel libre ? Propositions ?

Philippe Scoffoni

Je barbote dans la mare informatique depuis 30 ans (premier ordinateur à 16 ans, un ORIC ATMOS) et je travaille à mon compte au travers de ma société Open-DSI. J'accompagne les associations, TPE et PME dans leurs choix et dans la mise en oeuvre se solutions informatiques libres.

6 réponses

  1. Gboule35 dit :

    Hello,

    effectivement chaque « nouveauté » ou en l’occurence nouveau choix d’une entreprise vis à vis de son produit phare amène son lot de questions.

    pourtant nombre d’utilisateurs de l’informatique acceptent sans être conscients ce genre de deal, l’exemple le plus connu : les services google du compte gmail. et bien avant le moteur de recherche lui-même.

    alors ça fait bondir la communauté du libre, ok, mais a-t’on changer de monde entre temps ? les théories du libre ont elles enfin déborder sur la société au point que le sacro saint modèle économique actuel soit du passé ? est on arrivé enfin à une société qui se respecte plus qu’elle ne respecte l’argent ?

    il me semble que non, et une fois ceci posé, le choix de ubuntu s’inscrit assez logiquement dans la société actuelle telle qu’elle fonctionne. alors on peut refuser en bloc le produit parce qu’il ajoute un truc rémunérateur mais je trouve cette raison très discutable car en dehors du fait que cette fonction ne soit pas « désactivable » (ce qui est contraire au principe de libre choix) je ne vois pas du tout où il y a matière à un débat technique.

    le débat reste donc purement politique et il est dommage que les libristes soit rendus au stade pour certain ou on jette le bébé avec l’eau du bain.

    je suppose que les libristes acerbes sur cette « nouveauté » refuse également d’acheter une voiture logan, même si elle est moins chère et plus efficace (ce n’est qu’un exemple je n’y connais rien en voiture) sous prétexte que l’infâme renault les fait fabriquer ailleurs qu’en France ?

    quand je vois ce faux débat sur ubuntu+amazon, je comprends pourquoi le libre dans ses idées à tant de mal à s’émanciper de la vision carcérale de certains irréductibles.

    il ne faut pas confondre liberté et imposer sa vision de liberté ce qui est l’anti-thèse même de la liberté…

  2. Djiock dit :

    Au passage un certain nombre de logiciels libres utilisent des adwares, souvent (toujours ?) activés par défaut ! Peazip et PDFCreator par exemple. Heureusement ça reste cantonné à Windows…

  3. Bonjour Philippe,

    Très bon billet et j’oserais même dire excellent s’il n’y avait pas cette conclusion :

    > Mais l’approche trop classique passant par les modèles usuels de la publicité
    > reviennent souvent à finir par vendre les données de ses utilisateurs. […]
    > C’est ce qu’on trop bien compris les Google et consorts.

    Alors là je reste dubitatif. Google c’est exactement LE modèle économique de la publicité. Publicité qu’il rend la plus ciblée possible en étant capable de dresser un profil précis pour chaque utilisateur du web, notamment en fournissant des services gratuits, qui lui servent à mieux connaître ses utilisateurs.

    Si ce modèle était innovant il y a 10 ans, c’est de l’ultra classique maintenant. Si classique qu’on ne se pose plus la question de savoir si ça marche ou pas : c’est LE modèle. Si on veut suivre un autre modèle économique, les gens trouvent cela presque anormal.

    Ou alors je n’ai pas bien compris le sens de cette conclusion.

  4. Philippe dit :

    @Pierrick ma conclusion faisait en fait référence à la façon dont Google, Twitter, Facebook et d’autres construisent leurs services et pas à la façon dont ils les vendent. Ils s’appuient d’abord sur la recherche d’usages qui vont attirer les utilisateurs. Le logiciel est secondaire (il suffit de voir tout le code que Google jette à la poubelle 🙂 )
    Après, quand ça marche, ils retombent effectivement dans LE modèle classique. Leur approche est bien transversal dans la construction, mais après on reste dans les grand classiques et c’est ce qui les rend hélas si dangereux.
    Bon bref je sais pas si c’est plus clair ce que je raconte 🙂

  5. J’avoue ne pas bien comprendre la subtile nuance. Les plateformes que tu cites proposent des services gratuitement dans le but d’attirer un très grand nombre d’utilisateurs afin de :

    1) générer de la présence (Twitter/Facebook) afin que les pubs qu’ils affichent soient vues

    2) améliorer le « profilage » et permettre de mieux cibler les pubs qu’ils proposent (Google)

    Bien sûr être gratuit ne suffit pas, il faut être utile, dans le vent et un zest de chance 🙂

    Mais bon au final, on est bien dans la monétisation indirecte des données des utilisateurs. Ce n’est pas le « mal absolu » (tant que les utilisateurs en ont bien conscience) mais c’est LE modèle économique en vogue, que Google a presque inventé et qu’il maîtrise à merveille.

  6. Philippe dit :

    Je crois que j’ai voulu dire trop de choses dans une même phrase ça n’aide pas à la compréhension 🙂 Ca méritera un autre article.